jeudi 21 juin 2012

La dégustation des vins. Terroir sans importance et/ou experts incompétents?

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Olivier Gergaud et Victor Ginsburgh

Dans un article sur le « terroir », ce mot purement fantasmagorique utilisé par la France vini- et viticole, Gergaud et Ginsburgh (1) ont montré que les différences des dits terroirs dans la région du Haut-Médoc (Pauillac, Margaux, Saint-Estèphe, Saint-Julien, et Haut-Médoc) n’avaient aucun effet sur la qualité des vins. Bien sûr, un Saint-Julien n’a pas tout à fait le même goût qu’un Pauillac (encore que même les experts n’y voient que du feu, on le verra dans un instant). Mais les deux régions font des vins de qualité, voire de grande qualité. Ce que les deux chercheurs montrent, c’est que les différences de qualité telles qu’elles sont décrites dans les notes de dégustation des « grands » experts, sont indépendantes des qualités du sol (région, exposition des coteaux, sol, composition chimique du sol) mais dépendent par contre très fortement des techniques de production utilisées et partant de la compétence du chef d'orchestre. Ce qui fait la qualité d’un vin ce sont les cépages, adaptés aux conditions climatiques et au sol, l’âge des vignes, les conditions météorologiques durant l’année qui précède la vendange, la vinification et l’élevage (de la cueillette et du triage, à l’assemblage, en passant par l’égrappage et le foulage, le pompage dans les cuves, la fermentation, la macération, le pressage, le soutirage). C’est d’ailleurs ce que disaient déjà Joseph Krug (1800-1866), le célèbre producteur du Champagne du même nom : « Le bon vin naît d'un bon raisin, de bons fûts, d'une bonne cave et d'un honnête homme pour coordonner l'ensemble » et Vauban, nommé maréchal de France par Louis XIV qui semblait, lui aussi, avoir saisi le rôle prépondérant joué par l'homme en la matière : « C'est une vérité qui ne peut être contestée que le meilleur terroir ne diffère en rien du mauvais s'il n'est cultivé. » A tel point que Gergaud et Ginsburgh avaient envie de sous-titrer leur article « Il est possible de produire de très bons vins sur une autoroute, à condition d’avoir sous la main un bon chimiste ».

Cross, Plantinga et Stavins (2) concluent de façon similaire en analysant les prix auxquels se vendent les terres, dont certaines sont dites bonnes, d’autres moins bonnes, dans la région vinicole exceptionnelle située dans les états de Washington et de l’Oregon, au nord-ouest des Etats-Unis (eh ! oui, il y a aussi des « terroirs » ailleurs qu’en douce France). Ils montrent qu’il n’y a pas de différences significatives (au sens statistique) entre les prix des terres que les experts en vins décrètent comme étant différentes. Donc, l’analyse américaine conduit, par une toute autre voie, à la même conclusion : Il n’y a pas d’effet « terroir ».

Etait-ce vraiment surprenant ? Non et c'est jusqu'en 1976 qu'il faut remonter pour connaître le début de l'histoire. Cette année là, Steven Spurrier, célèbre marchand de vin britannique alors en charge des Caves de la Madeleine à Paris et l'Américaine Patricia Gallagher de l'Académie du Vin en France, vont bousculer les idées reçues en organisant dans les locaux de l'hôtel Intercontinental de Paris une confrontation-dégustation à l’aveugle entre vins français (4 Bourgogne pour les blancs, 4 Bordeaux pour les rouges, et pas des piquettes (3)) et 2 fois 6 vins californiens peu connus à cette époque du grand public. Le jury est constitué de neuf experts français (sommeliers, critiques et journalistes qui écrivent sur le vin, marchands et vignerons). A la stupeur générale (y compris de celle des organisateurs), c’est dans les deux cas un vin californien qui est jugé premier dans ce qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler le Jugement de Paris (4). Comme le racontera plus tard George Taber (5), ce simple évènement contribue à révolutionner le monde du vin. Les vins californiens (et par la suite, bien d'autres) sont propulsés sur le devant de la scène et le Jugement montre clairement qu'il est possible de produire des vins de haute qualité ailleurs qu’en France. Avec pour conséquence positive, d'accroître la concurrence sur le segment des vins de haute qualité, ce dont les consommateurs ne devraient pas se plaindre.

Quelque 36 ans plus tard, George Taber reprend le flambeau et organise avec Orley Ashenfelter et Karl Storchman, respectivement professeurs d’économie à Princeton et à la New York University un second jugement lors de la 6ème conférence internationale de l'American Association of Wine Economists début juin 2012. Les économistes qui ont organisé cette dégustation ont tout fait pour qu’elle ressemble le plus possible à celle de Paris et ne sont d’ailleurs pas intervenus dans la dégustation. La joute oppose les mêmes 2 fois 4 vins français (d’une vendange plus récente) à une sélection de 2 fois 6 vins du New Jersey, un vignoble cette fois aussi inconnu. Comme à Paris, il y a neuf juges : trois journalistes qui écrivent sur les vins, deux restaurateurs, un producteur de vins et trois économistes du vin, dont Oliver Gergaud qui cosigne cet article et une experte belge. Cette fois c’est dans les deux cas (vins blancs et vins rouges) un vin français qui s'imposera : le Clos des Mouches d’une part et le Mouton Rothschild de l’autre, mais d'une courte tête. Ce que l'on retiendra de ce second jugement ce sont les conclusions de l'analyse statistique (entreprise par Richard Quandt, statisticien à Princeton), selon laquelle il n'y aurait pas de différence significative entre les vins (5). Seul le Clos des Mouches en blanc se distingue comme significativement plus apprécié que les autres blancs et un rouge du New Jersey comme significativement moins apprécié que les autres rouges. Mais Mouton-Rothschild et Haut-Brion, deux superstars françaises ne se distinguent guère des autres « vulgaires » vins américains. Donc, les vins de Bourgogne, du Bordelais et du New Jersey sont, à très peu de chose près, de qualité égale.

A moins que les juges qui participent à ces dégustations à l’aveugle soient incapables de se prononcer, si ce n’est en voyant l’étiquette. Ce qui est loin d’être impossible… On dit d’ailleurs que le « grand » Robert Parker ne déguste jamais à l’aveugle pour donner ses notes.

(1) Olivier Gergaud and Victor Ginsburgh (2008), Endowments, production technologies and the quality of wines in Bordeaux. Does terroir matter?, The Economic Journal 118, 142-157.

(2) Robin Cross, Andrew Plantinga ad Rober Stavins (2001), What is the value of terroir, American Economic Review, Papers and Proceedings 101, 152-156.

(3) Meursault Charmes Roulot, 1973, Beaune Clos des Mouches Drouhin, 1973, Puligny Montrachet Leflaive, 1972 et Batard-Montrachet Ramonet-Prudhon, 1973 pour les blancs, et Châteaux Haut-Brion, 1970, Mouton-Rothschild, 1970, Leoville Las Cases, 1971, et Montrose, 1970 pour les rouges.

(4) Voir http://en.wikipedia.org/wiki/Judgment_of_Paris_(wine)

(5) George Taber (2005), Judgment of Paris. California vs. France, New York : Scribner.

(5) Pour les détails sur ce jugement de Princeton, voir

http://en.wikipedia.org/wiki/Judgment_of_Princeton

Le point de non-retour

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Pierre Pestieau

Un des concepts importants dans notre existence tant individuelle que collective est sans doute celui de point de non retour ou plus exactement du moment où l’on a atteint ce point. C’est le moment à partir duquel il n'est plus possible d'arrêter une action en cours ou de revenir sur une décision. Cette expression tirée de l’anglais fait plus moderne tout en disant la même chose que franchir le Rubicon qui fait allusion à la traversée par Jules César de ce fleuve du nord de l'Italie. Il existe des points de non-retour dans de nombreux domaines.

Il y a plusieurs années, je demandais à Tony Atkinson, l’économiste anglais connu pour ses travaux sur la taxation et les inégalités ce qu’il pensait de la récente entrée du Royaume Uni dans l’Union Européenne. Sa réponse fut étonnante : « J’étais contre mais maintenant qu’on y est, je suis opposé à l’idée de la quitter. Le retour à la situation antérieure serait encore plus coûteux. » Les grands travaux achevés ou abandonnés, utiles ou inutiles, peuvent être interprètés en termes de « non retour ». Les bons travaux sont ceux qui ont été arrêtés parce qu’ils allaient s’avérer inutiles ou ceux qui ont été achevés parce qu’ils allaient être rentables. Les autres sont de mauvais travaux.

Il faut parfois beaucoup de courage pour interrompre un processus dont tout le monde pensait qu’il était inexorable. La plupart d’entre nous sommes d’indécrottables romantiques. Nous préférons le baroudeur qui va vers une mort certaine et inutile à celui qui par sagesse préfère attendre voire renoncer à une expédition. Renoncer est souvent associé à des clichés qui pour l’essentiel tournent autour d’un manque de virilité.

L’idée du non-retour s’applique au jeu politique. A la suite de la victoire toute récente de François Hollande, la gauche s’est gaussée de toutes les mesures prises par la droite, critiquées par le candidat socialiste lors de la campagne présidentielle, alors qu’il allait vraisemblablement les garder. Dans certains cas, il les gardera par ce qu’il les juge raisonnables, ce sera sans doute le cas de la reforme des universités et d’une grosse partie de la réforme des retraites. Dans d’autres cas, il devra les garder parce qu’il serait trop coûteux pour la collectivité de revenir en arrière, même s’il juge que ce fut une erreur de les adopter.

jeudi 14 juin 2012

Les deux pensées uniques

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Pierre Pestieau

En lisant l’ouvrage de Mauduit (1), dont j’ai parlé il y a quelques semaines, j’ai été frappé par l’assurance avec laquelle il rejetait toutes une série d’idées qu’il rattachait hâtivement à ce que certains appellent la pensée unique : le relèvement de l’âge du départ à la retraite, l’idée sous-jacente à la commission présidée par Attali, qui proposait de faire une lutte impitoyable aux gaspis, d’accorder de l’importance à une certaine rigueur budgétaire, etc. Ce n’est pas parce que ces idées sont défendues par des Minc ou des Attali qu’elles sont mauvaises. Elles relèvent du principe élémentaire que pour réaliser des objectifs précis tels qu’une réduction de la pauvreté ou une démocratisation de l’enseignement, il faut utiliser le plus efficacement possible des ressources qui sont malheureusement limitées. Le rejet de ce principe est à la base d’une autre pensée unique, celle dont Laurent Mauduit est imprégné, et que l’on retrouve dans le Monde Diplomatique : la foi qui déplace les contraintes budgétaires. Il y a donc une pensée unique qui, en mettant l’accent sur l’efficience économique, oublie que l’essentiel est de rendre le monde meilleur et une pensée unique qui, en mettant l’accent sur la justice, oublie que les moyens sont limités.

Ces deux pensées uniques qui se disputent l’hégémonie dans le débat d’idées en France et en Belgique peuvent à terme l’une et l’autre conduire à la fin de l’Etat providence. La pensée unique de droite, pour faire court, parce que la recherche de l’efficacité économique lui fait négliger les objectifs fondamentaux d’un Etat providence que sont la réduction des inégalités, la protection sociale, l’égalité des opportunités. La pensée économique de gauche, elle, parce qu’elle semble souvent donner la priorité aux institutions et aux politiques qui un jour furent légitimes mais ont peut-être aujourd’hui perdu toute pertinence au regard de ses objectifs. Pour prendre un exemple, cette pensée unique préfèrera se battre jusqu’au bout pour la gratuité de l’enseignement universitaire même si ce faisant, le système devient de moins en moins démocratique et de plus en plus élitiste.

Selon moi, le maintien de politiques telles que la retraite à 60 ans pour tous, la gratuité de l’enseignement universitaire ou l’indexation universelle des salaires et des prestations sociales ne doivent pas d’être des fins en soi. Si elles peuvent subsister, tant mieux. Mais ce qu’il faut garder à l’esprit c’est le cap, l’objectif : un bien être plus élevé des personnes âgées, une mobilité sociale accrue et le plein emploi, bref un Etat providence rayonnant qui donne la priorité à ses missions fondatrices et remet sans cesse en cause les moyens de les réaliser.

(1) Laurent Mauduit, Les imposteurs de l'économie, Enquête sur ces experts médiatiques, Éditions Jean-Claude Gawsewitch, 2012

Piétons et tramways bruxellois

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Victor Ginsburgh

Je n’ai pas le bonheur d’être actionnaire de la société des tramways bruxellois, dont on dit que le nombre de passagers ne cesse d’augmenter. Dommage pour moi et tant mieux pour eux, et pour tout le monde. Moins de voitures, moins de pollution, moins d’accidents.

Sauf que l’on dit aussi que de plus en plus de piétons se font renverser par ces mêmes tramways : 109 en deux ans et demi, dont 8 ont été tués. Le journal de la RTBF du jeudi 24 mai explique que « les trams sont à l’origine d’un nombre important d’accidents avec des piétons ». Il ne dit pas « les piétons sont à l’origine d’un nombre important d’accidents avec des tramways », ce qui sous-entend assez clairement qui est responsable de quoi, et on incrimine notamment la couleur sombre des tramways...

Je me désole tous les jours et, si je pouvais, je me fouetterais chaque fois que je prends ma voiture pour faire trois kilomètres. En me disant : comme les piétons et les vélos sont courageux de marcher et de rouler sous le soleil ou, pire, sous l’orage, la grêle et été ou la neige en hiver.

Courageux, mais téméraires aussi. Parce que c’est une chose de dire que les piétons ont priorité sur les lignes blanches et que les cyclistes peuvent rouler en sens interdit dans les rues à sens unique. Mais c’est autre chose de voir les piétons traverser sur les lignes blanches lorsque le feu vert permet aux voitures de passer, ou de traverser la rue à 10 mètres des lignes blanches, et les cyclistes prendre leur « priorité de gauche » en déboulant d’un sens interdit, voire de passer au feu rouge avant qu’il ne change de couleur ou après qu’il en ait changé.

Un certain nombre de choses leur ont été permises, et ils s’en permettent un certain nombre, que dis-je, un grand nombre d’autres. Pas plus tard que ce matin, et ce pour faire mes 3 kilomètres quotidiens, je m’apprêtais à démarrer à un feu devenu vert comme une pomme « granny smith », lorsqu’un vélo qui se trouvait à ma droite me dépasse pour tourner vers la gauche. J’aurais démarré un rien plus vite et le cycliste se serait retrouvé à l’hôpital. Et on aurait pu écrire que « les automobilistes sont à l’origine d’un nombre important d’accidents avec des cyclistes ».

Je m’incline (avec grâce, malgré mon vieux dos) et ne peux que répéter que je suis souvent honteux de prendre ma voiture. Comme je l’ai dit plus haut, les piétons et les cyclistes sont à l’honneur. Mais les nouvelles règles qui sont censées les protéger et les rendre plus rapides, leur ont donné l’impression que, quoi qu’il arrive, ils ont raison. Mais se retrouvent plus souvent que les voitures et les tramways à l’hôpital, voire au ciel.

Oublie-t-on qu’un piéton ou un vélo peut « freiner » plus rapidement qu’une voiture ou un tramway ? Pourquoi ne pas s’inspirer du règlement maritime qui prévoit que « les navires de longueur inférieure à 20m ou les navires à voile ne doivent pas gêner le passage des navires à propulsion mécanique qui suivent une voie de circulation » (1). Et ne pas passer sans sourciller au feu rouge.

Le règlement maritime. Mais oui, après tout, et s’il faut en croire les scientifiques, nous sortons tous de la mer…

(1) Règlement international de 1972 pour prévenir les abordages en mer

http://www.mobilit.fgov.be/data/aqua/FR_REGL_IAZ.pdf


mercredi 6 juin 2012

Günter Grass, Stéphane Hessel et Richard Goldstone

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Victor Ginsburgh

Les Nazis m’ont effrayé d’être juif,

les Israéliens m’ont rendu honteux de l’être

Israel Shahak (Varsovie, 1933-Jerusalem, 2001)

Dans son interview à CNN du 26 avril 2012, le Premier ministre israélien Netanyahou a déclaré qu'« Israël veut la paix avec ses voisins et ne cherche à dominer personne. Je veux qu'ils [les Palestiniens] aient leur propre pays indépendant. Mais un pays démilitarisé » (1).

Indépendant, mais de plus en plus grignoté (oui, grignoté, voyez d’ailleurs le tracé du mur), ce que Netanyahou a manifestement omis de dire ce 26 avril 2012, puisque deux jours avant, il avait une nouvelle fois volé une partie du territoire palestinien, « leur propre pays », en légalisant tout à fait illégalement, faut-il encore le dire, et rétroactivement, trois nouvelles colonies (2) et c’est loin d’être fini, puisque le gouvernement vient « de débloquer un budget spécial « destiné au peuplement de la Judée-Samarie » (3), c’est-à-dire de la Palestine occupée, dont les occupants sont sans cesse soumis « aux occupants armés des colonies qui ne cachent pas leur désir de rendre insupprtable la vie de leurs voisins Palestiniens et d’occuper leurs terres » (4).

Démilitarisé, en omettant de dire que son pays, Israël possède évidemment la puissance nucléaire, si pas la bombe—et d’ailleurs les sous-marins que l’Allemagne vient de lui fournir peuvent être équipés d’ogives nucléaires (5), qui servent à quoi si on n’a pas d’armes de ce type—, et accuse l’Iran de vouloir la bombe, de l’avoir presque, alors que tout semble dire que l’Iran n’a pas encore pris de décision (6).

Cela doit être dit, comme l’écrit Günter Grass dans son « poème »: « Parce qu’il faut dire ce qui doit être dit maintenant, car demain il sera trop tard, sur ce prétendu droit d’attaque préventive qui pourrait anéantir le peuple iranien… ». Que ce texte puisse être appelé « poème » est sans doute exagéré, il est loin d’être ce qu’on attend d’un poème ; mais qu’il soit écrit par Günter Grass qui a eu le courage de déclarer, il y a quelques années, avoir fait partie des Waffen-SS à 17 ans ne m’indigne guère. Mais bien sûr c’était l’arme toute trouvée par Israël pour le discréditer, et c’était plus facile de le discréditer pour son passé (Grass est un antisémite, d’ailleurs la preuve, c’est qu’à l’âge de 17 ans…) que pour ce qu’il disait à propos de l’Iran.

« Je lui interdis l’entrée du pays » a décidé le ministre israélien des affaires intérieures ; « vous êtes comparables à la Birmanie et à l’Allemagne de l’Est qui avaient agi de même avec moi » a répondu Grass.

« Nous sommes heurtés par [s]es prises de position honteuses et immorales qui visent à délégitimer Israël et le peuple juif, et appelons les écrivains à travers le monde à les dénoncer. Nous allons nous adresser au Comité Nobel ainsi qu’au Pen Club. Ils doivent s'exprimer : il ne s'agit pas de politique, mais de morale » a déclaré le président de l’association israélienne des écrivains de langue hébraïque (7). « Il n’y a pas, et il n’y aura pas, de discussions à l’Académie suédoise pour lui retirer son prix » a répondu le secrétaire permanent du Prix Nobel de Littérature (8). Et « Grass va rester président d’honneur du Pen Club après le rejet d’une demande de lui retirer cette distinction » annonce le Pen Club (9).

Mais il ne faut pas avoir été Waffen-SS pour être discrédité par Israël. Stéphane Hessel qui a été résistant durant la guerre mais s’indigne contre l’occupation israélienne de la Palestine et le juge Richard Goldstone qui a présidé à la rédaction d’un rapport dévastateur sur les (mé)faits de l’armée israélienne lors de la Guerre de Gaza (10) ont tous deux été traînés dans la boue par les autorités israéliennes. Pourtant aussi bien Hessel que Goldstone sont d’origine juive.

J’ai reçu d’un ami palestinien le poème suivant de Langston Hughes (11):

What happens to a dream deferred?

Does it dry up 
like a raisin in the sun? 


Or fester like a sore—

And then run? 


Does it stink like rotten meat? 


Or crust and sugar over—


like a syrupy sweet?

Maybe it just sags 


like a heavy load.

Or does it explode?

(1) http://outfront.blogs.cnn.com/category/netanyahu/

(2) Israel Retroactively Legalizes 3 West Bank Settlements, New York Times, August 25, 2012? Voir http://www.nytimes.com/2012/04/25/world/middleeast/israel-legalizes-3-west-bank-settlements.html?pagewanted=all.

(3) Guysen International News, 17 mai 2012.

(4) Israel is reponsible for the safety of West Bank Israelis and Palestinians, Haaretz May 24, 2012.

(5) German officials confirm submarines sold to Israel can fire nuclear-tipped cruise missiles, Haaretz, 3 juin 2012.

(6) Voir mon blog du 9 mars 2012, Bombe iranienne et bruits de bottes israéliennes.

(7) Guysen International News.

(8) http://www.akademiblogg.wordpress.com/

(9) Guysen International News.

(10) Goldstone s’est partiellement récusé dans un article du Washington Post après avoir été l’objet d’une campagne ignoble de la part d’Israël et des Juifs en général. Il avait même été menacé de ne pas pouvoir assister à la Bar Mitzva (confirmation) de son petit-fils par les Juifs Sud-africains.

(11) Langston Hughes (1902-1967) est un poète, nouvelliste, dramaturge et éditorialiste américain du 20e siècle. Sa renommée est due en grande partie à son implication dans le mouvement culturel communément appelé Renaissance de Harlem qui a secoué Harlem dans les années 1920 (Wikipedia).

Pour dieu et pour du beurre

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Pierre Pestieau

Une des malheureuses leçons que l’on peut tirer de l’histoire récente de nos démocraties est que les gouvernements cèdent plus rapidement à la pression de la rue qu’à l’urgence des besoins. Il y a plus de 15 ans, j’ai eu l’occasion de rencontrer le ministre des pensions de l’époque. C’était un socialiste flamand fort sympathique. Dans la conversation je lui ai fait remarquer qu’il est choquant de voir que plus une personne est âgée, plus le montant de sa retraite est faible. C’est donc chez les personnes âgées, le plus souvent des femmes, que l’on trouve les taux de pauvreté les plus élevés. A ma grande surprise, il m’a répondu de façon paternelle : Mon cher ami, il ne vous pas échappé que ce n’est pas ce segment de la population qui va organiser des manifestations et paralyser le pays.

Cette anecdote m’est venue à l’esprit lorsque j’ai découvert le problème du financement de l’aide juridique en Belgique, qui vient de conduire à une grève inédite des avocats pro deo dans la partie francophone du pays (1). Cette assistance est offerte à la population défavorisée. Or cette population ne cesse d’augmenter; de surcroît, elle rencontre des problèmes juridiques croissants. Malheureusement depuis plusieurs années, calculée en euros constants, l’enveloppe consacrée à l’aide juridique s’est réduite comme une peau de chagrin. La conséquence est double : toute la demande ne peut être satisfaite et la rémunération horaire des avocats pro deo se réduit. Elle tournerait aujourd’hui autour de 7 euros, ce qu’on appelle généralement un « salaire de misère ».

Si l’activité pro deo était largement partagée par les avocats, ce ne serait qu’un demi-mal. Ce n’est évidemment pas le cas, puisqu’elle est souvent concentrée sur les avocats qui débutent au barreau ; pour certains, particulièrement les pénalistes, elle représente la principale source de revenu.

On se trouve ainsi devant une situation doublement scandaleuse. D’une part, une population paupérisée qui ne dispose pas d’une aide pourtant si nécessaire dans une société qui se judiciarise de plus en plus. D’autre part, une cohorte de jeunes avocats qui, faute d’avoir pu se constituer une clientèle suffisante, voit sa source principale de revenus rapetisser à des niveaux qui frisent la précarité.

Sur le plan politique, ce sont là deux populations qui n’ont pas des moyens de blocage efficaces. De plus, la majorité des gens ne s’identifient avec ni l’une ni l’autre. Ils ne pensent pas avoir jamais besoin de l’aide juridique; ils n’ont que rarement des relations proches avec des jeunes avocats.

Il y a quelques jours, Le Monde (du 29/5/2012) consacrait un article à ce que l’on appelle les maladies négligées. Pourquoi négligées ? Parce que faute de débouchés commerciaux rentables, les laboratoires pharmaceutiques ont, depuis toujours, délaissé la mise au point de traitements pour y faire face. Par analogie, on pourrait parler de problèmes sociaux négligés. Problèmes sérieux mais qui ne reçoivent aucun écho dans l’opinion. L’assistance juridique appartient à cette catégorie ; la politique carcérale aussi ; de même que le traitement de certains handicaps tels que la trisomie, l’autisme ou la schizophrénie.

Tout le monde ne dispose pas de gros bahuts ou de tracteurs monstrueux pour bloquer la circulation.

(1) Les cas d’urgence continuent d’être assurés.