samedi 24 septembre 2011

Google détruit notre mémoire. Dommage ou pas ?

Victor Ginsburgh

Nous n’arrêtons pas de nous précipiter sur Google lorsqu’un mot, le nom d’un auteur, d’un film, d’un musicien, d’un historien nous échappe. Sans faire l’effort d’essayer de nous les remémorer, parce qu’il y a tellement d’autres choix. Est-ce grave, Docteur ?

Betsy Sparrow, professeur de psychologie à l’Université Columbia et ses collègues viennent de publier dans Science un article portant sur des résultats d’expériences qu’ils ont menées (1).

Ces expériences avaient pour but de voir si nous préférions « stocker » une information dans un quelconque tiroir plutôt que de la garder en mémoire. La plus saisissante de celles-ci a consisté à présenter aux sujets 40 énoncés (du type « L’œil d’une autruche est plus grand que son cerveau ») à propos desquels ils pouvaient prendre des notes sur leur ordinateur. La moitié des sujets avaient été avertis qu’ils pourraient retrouver cette information, l’autre moitié, que cette information serait perdue. Dans un deuxième temps, les sujets étaient priés de se rappeler les énoncés et de les noter, sans l’aide de leur ordinateur. Les sujets auxquels on avait dit que leur ordinateur effacerait leurs notes ont reproduit les énoncés bien plus souvent et mieux que les autres, qui pensaient pouvoir les retrouver sur l’ordinateur et n’avaient par conséquent pas pris la peine de les retenir.

Une autre expérience montre que les sujets se rappellent mieux des fichiers (ou endroits) dans lesquels ils ont stocké l’information que de l’information elle-même.

Ces constatations ne sont pas vraiment surprenantes. Pourquoi, en effet, retenir l’information, si on sait qu’il est possible de la retrouver… à condition de se rappeler où elle a été stockée. L’ordinateur est très efficace dans son rôle de mémoire externe et il faut reconnaître que chercher dans une encyclopédie, un ouvrage dont on a oublié le titre et dont on ne se rappelle qu’approximativement le nom de l’auteur n’est pas tout à fait évident. Google vous fait cela en deux ou trois clics. Mais faut-il pour cela ne plus exercer notre propre mémoire et ne plus faire appel à elle ?

Sparrow conclut que la mémoire humaine s’adapte à une nouvelle technologie de communication. Pourquoi savoir par cœur, comme les plus vieux d’entre nous s’y sont essayés, des fables de La Fontaine ou du Victor Hugo, alors que le téléphone portable, pour peu qu’il soit un rien « smart », nous le restitue.

Après avoir oublié comment écrire, même mal, parce que le clavier a pris la place de la main, on peut maintenant oublier qu’il y a un risque d’oublier.

« J’ai gardé, dit Jean-Claude Carrière, le souvenir d’un homme qui avait une mémoire extraordinaire. Mais j’ai oublié ce qu’il savait. Je ne me souviens donc que de l’oubli » (2).

(1) Betsy Sparrow, Jenny Liu, and Daniel M. Wegner, Google Effects on Memory: Cognitive consequences of having information at our fingertips, Science Express www.sciencexpress.org / 14 July 2011.

(2) Voir Jean-Claude Carrière et Umberto Eco, N’espérez pas vous débarrasser des livres, Paris: Grasset, 2009, p. 47.

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