jeudi 22 juin 2023

La perfection n’est pas de ce monde. Heureusement

3 commentaires:

Pierre Pestieau

En économie comme ailleurs, il existe des indicateurs qui peuvent prendre des valeurs comprises entre 0 et 1 ou entre 0 et 100%. 1 ou 100% correspond à la perfection. Est-elle atteignable ou souhaitable ? Je me souviens d’un collègue, disparu depuis, qui, quand il avait un étudiant qui avait remis une copie sans fautes, lui attribuait la note 18/20 avec le commentaire : 20 c’est pour Dieu et 19 c’est pour moi. En fait pour beaucoup de grandeurs, la perfection serait plutôt représentée par le chiffre 0. C’est le cas de la pauvreté, du chômage, des inégalités et de la maladie.

On peut faire mieux que 100%. Il y a 50 ans, le candidat à la présidence américaine, Georges McGovern assurait le sénateur Eagleton, son choix pour la vice-présidence, de son soutien à 1000% avant de s’en séparer quelques jours après.

Quelle que soit la manière dont on la mesure, la perfection n’est pas toujours souhaitable. Elle frise l’excès. En témoignent les expressions avec ‘trop’. On ne tient pas à être trop bon, trop honnête, trop gentil . Pour paraphraser Raymond Devos, il vaut mieux être aimable que trop aimable. Ou la chanson de Lomepal que mon petit-fils vient de me faire découvrir : « Trop beau pour être vrai. »

Il semblerait que l’eau absolument pure serait imbuvable et que l’air absolument pur serait irrespirable. Même remarque lorsque 0 et non 100% représente la perfection. Il y a quelques jours je voyais une affiche avec en grandes lettres « Tolérance zéro au harcèlement sexuel ». Objectif hautement louable mais impossible dans le meilleur des mondes, Même remarque pour la politique dite de « la tolérance zéro » du tristement célèbre Rudolph Giuliani alors maire de New York.

Pour revenir à l’économie, on sait qu’une société a besoin d’une certaine inégalité des revenus afin de stimuler tout un chacun à faire mieux que la moyenne. On peut le regretter et espérer qu’un jour on trouve une société où l’égalité selon les besoins soit la norme, un peu comme dans la famille idéale. Quant à l’emploi, on sait qu’un marché de l’emploi fonctionnel implique un certain taux de chômage, que l’on qualifie de frictionnel et qui correspond à des périodes d’attente entre deux emplois. Ici aussi, on peut rêver d’un monde où tout le monde aurait un travail et où le passage d’un job à l’autre se ferait sans friction. Il n’est pas interdit de rêver.

Le Paradis qui devrait évoquer la perfection paraît fort ennuyeux. A tel point que certains optent pour l’enfer.

jeudi 15 juin 2023

Le mérite ou le patrimoine

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Pierre Pestieau

Dans son livre La tyrannie du mérite (1), Michael Sandel explique avec éloquence le paradoxe de nos sociétés démocratiques qui utilisent les meilleures universités comme vecteur de reproduction sociale. Aux Etats-Unis, on a ainsi vu émerger une nouvelle aristocratie héréditaire du bon diplôme, obtenu dans la bonne université.

Comment ces nouveaux aristocrates, dont les rejetons ne sont pas toujours doués, réussissent à les faire admettre dans ces institutions qui comme Harvard ou Yale se veulent rigoureuses et intègres. Sandel commence son ouvrage en rappelant toutes les voies indirectes qui permettent de contourner des critères d’admission infranchissables pour la majorité des étudiants. Il y a d’abord l’argent. Les alumni fortunés qui font de généreuses donations à leur alma mater peuvent faire admettre leurs enfants, même s’ils ne sont pas à la hauteur. Il y a ensuite la tricherie dont la plus connue est celle des faux sportifs.

A titre d’exemple, on citera les poursuites dont fait l’objet un certain William Singer, le fondateur du Edge College & Career Network, une école qui préparait les jeunes à l'entrée à l'université, aussi connue sous le nom de "The Key". Il aurait aidé les étudiants à tricher à leurs examens et à payer des coaches sportifs pour que ceux-ci leur fournissent de faux certificats de sport. Aux Etats-Unis, les bons athlètes peuvent être admis en jouant dans les équipes universitaires.

Les faux allaient parfois très loin. Ce William Singer aurait ainsi réalisé des montages, collant la tête des étudiants sur des photos de sportifs. Certains parents auraient activement participé à ces faux. Dans l'un des exemples cités par la plainte, des parents auraient versé la somme de 1,2 million de dollars pour que leur fille soit prise à l'université de Yale. La jeune fille était présentée comme la capitaine d'une équipe de football de Californie, pour qu'elle soit recrutée par l'équipe universitaire. L'entraîneur de cette équipe aurait perçu 400.000 dollars pour l'aider.

Certes ce sont là des exceptions. La plupart de étudiants de ces universités prestigieuses sont passés par le canal traditionnel qui requiert des bons scores au sortir du lycée et des parents fortunés dans la mesure où les droits d’inscription ne sont pas à la portée de l’américain moyen. Les scores sont aussi liés au patrimoine familial dans la mesure où les bons lycées se trouvent dans les districts scolaires huppés et qu’en outre, ces scores nécessitent de plus en plus de tutorat privé et donc coûteux (2).

J’ai eu récemment l’occasion de parler à un étudiant de première année dans une de ces prestigieuses institutions. Il me disait à quel point le milieu ambiant, les condisciples, les enseignants, les fraternités insistaient sur l’importance de se créer des réseaux qui s’avéreront utiles à l’avenir dans la carrière professionnelle. Il avait ainsi été fortement invité à participer à une conférence donnée par un alumnus qui dirigeait une grosse boite. Cela lui garantissait d’y être engagé à la sortie de ses études.

Les temps changent. Je me souviens du film The Graduate et de la chanson fétiche de Simon et Garfunkel « Mrs Robinson ». Une scène mythique de ce fim : Au bord de la piscine de ses parents (symbolisant alors le confort de la haute bourgeoisie), un voisin d'âge moyen aborde le jeune diplômé et lui parle de son avenir avec cette injonction devenue culte "Un seul mot : plastique. Le plastique a un grand avenir". A l’époque, cela paraissait risible (3). Ce ne l’est sans doute plus aujourd’hui.

Ce que montre Sandel c’est que ces étudiants, quel que soit le moyen d’admission auquel ils ont eu recours, quand ils auront obtenus un job bien rémunéré, seront convaincus qu’ils le doivent à leur mérite et non pas à la fortune de leurs parents. On s’offre la bonne conscience que l’on peut.


(1). Albin Michel, 2022.
https://www.albin-michel.fr/ouvrages/la-tyrannie-du-merite-9782226445599
(2). Une étude récente montre que le tutorat joue un rôle essentiel dans les admissions et les réussites des jeunes américains. Voir sur ce sujet Kraft, Matthew A. and Bolves, Alex and Hurd, Noelle, How Informal Mentoring by Teachers, Counselors, and Coaches Supports Students’ Long-Run Academic Success (May 1, 2023). NBER Working Paper No. w31257.
(3). D’autant que le jeune lauréat pensait beaucoup plus à la pastique de Mrs Robinson qu’à son avenir dans le plastique ou ailleurs.

jeudi 8 juin 2023

Henri Michaux écrit... (*)

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(Victor Ginsburgh)

Faute d’aura, au moins éparpillons nos effluves.

Il lui tranche la tête avec un sabre d’eau, puis plaide non coupable et le crime disparaît avec l’arme qui s’écoule.

Comme on détesterait moins les hommes s’ils ne portaient pas tous figure.

Celui qui parle de lion à un passereau s’entend répondre : tchipp.

On ne voit pas les virgules entre les maisons, ce qui en rend la lecture si difficile et les rues si lassantes à parcourir.

Fille indécise ne doit pas se voir avec son rabat-jupe.

Faites pondre le coq, la poule parlera.

Les oreilles dans l’homme sont mal défendues. On dirait que les voisins n’ont pas été prévus.

Les pieds, n’approuvent pas le visage, ils approuvent la plage.

Les pins, tous les résineux, sont des arbres sociaux. C’est un fait. Le pommier, lui, vit toujours seul. Le pommier sauvage, s’entend. Mais tout pommier guette le moment de redevenir sauvage, de vivre seul à nouveau, avec de tous petits fruits, acides et jolis (pas enflés du tout). Vrai, on n’aurait pas cru ça du pommier.

Il devait retenir son oeil avec du mastic. Quand on en est là...

Un veau voulait naître à nouveau. C’était pour quelques observations à faire, prétendait-il, qu’il n’avait pu faire. Ce veau, on le devine, était un garçon. Seul, un jeune homme peut ainsi se tromper sur soi.

Les jeunes consciences ont le plumage raide et le vol bruyant.

Muet, gardé par deux sourds, attend un signe.

Qui s’est abaissé devant une fourmi, n’a plus à s’abaisser devant un lion.

Jugé indigne de barreaux d’honneur, je fus mis en prison.

Il n’y a pas de preuve que la puce, qui vit sur la souris, craigne le chat.

Après deux cents heures d’interrogatoire ininterrompu, Bossuet aurait avoué qu’il ne croyait pas en Dieu.

(*) Henri Michaux, Face aux verrous, NRF, Poésie/Gallimard.

jeudi 1 juin 2023

Bonheur, santé et autonomie

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Pierre Pestieau

Les politiques sociales s’adressent aux personnes âgées sous trois angles : santé, autonomie et revenus. Dans le meilleur des monde, on pourrait imaginer que ces politiques puissent aboutir à ce que chacun jouisse d’une bonne santé et d’une pleine autonomie et dispose de ressources suffisantes. Et pourtant même dans ce « meilleur » des mondes, subsisterait un problème : tout le monde ne serait pas également heureux. Ces différences de bonheur, alors qu’autonomie, revenu et santé seraient les mêmes pour tous, peuvent s’expliquer par différents facteurs. J’en retiendrai deux qui me semblent les plus importants : la capacite innée a être heureux et l’environnement social, à savoir la famille et les amis.

Dans une étude récente (1) portant sur les personnes âgées dans une vingtaine de pays européens, il apparaît que contrôlant pour les différences de revenus, le bonheur d’une part et la santé/autonomie d’autre part n’étaient pas fortement corrélés. En d’autres termes, on trouvait dans chacun des pays étudiés, des personnes en bonne santé et parfaitement autonomes qui se disaient malheureuses et des personnes fortement dépendantes qui se disaient heureuses.

Une objection bien naturelle pourrait être émise à propos de la capacité à mesurer ces différentes variables. Par ordre de difficulté, on aurait le revenu, la santé, l’autonomie, l’environnement social, le bonheur et enfin la capacité à être heureux. On passera sur cette objection pour les besoins de l’argumentation et on supposera que l’on peut quantifier ces différentes dimensions. Se posent alors deux questions. Est-ce bien le rôle de l’État providence de viser aux plus grand bonheur des individus et plus précisément de compenser les individus qui ont un environnement social défavorable et une faible capacité à être heureux ? Ensuite, si la réponse a cette première question est positive, quels instruments peuvent amener cette compensation ?

En améliorant l’habitat des personnes âgées, on pense aux habitation intergénérationnelles ou à des EHPAD davantage conviviaux, on peut améliorer la qualité de leur environnement social. Mais ce sera limité. Quant à la capacité à être heureux, la seule solution pourrait être des compensations monétaires qui permettrait d’augmenter le bien-être des tristounets de ce monde.

Dans la pratique, l’État providence tend a mettre l’accent sur les dimensions de revenu, de santé et d’autonomie, négligeant les autre facteurs expliquant le bonheur. Comment expliquer ce positionnement ? Est-ce pour des raisons d’information ? On n’agirait que sur les dimensions qui sont observables. Ou est-ce pour des raisons éthiques ? Ce ne serait pas à l’État providence de s’occuper du bonheur des gens. Il existe cependant une troisième explication qui repose sur le concept de dissonance cognitive : si quelqu'un désire quelque chose, mais qu'il le trouve inatteignable, il réduit sa dissonance en le critiquant. Jon Elster (2) qualifie ce type de comportement de « formation d’une préférence adaptée ». En d’autres termes, les individus auraient tendance à trouver leur bonheur dans l’adversité, que ce soit la maladie, le handicap ou la pauvreté.

Si cette hypothèse devait être vérifiée, baser une politique publique sur un indicateur de bonheur pose problème. Cela validerait la politique observée qui consiste à assurer aux personnes âgées la meilleure santé possible et la plus grande autonomie.


(1). Flawinne, X., S. Perelman et J. Schoenmakers (2023), Indicateurs de dépendance sur base de l’enquête SHARE : réflexions sur l’espérance de vie sans capacité, ronéo.

(2). Jon Elster Rationality and the Emotions, The Economic Journal, Volume 106, 1996, Pages 1386–1397.