Pierre Pestieau
Outre le fait de manquer de tout, les pauvres perdent leur autonomie et meurent bien avant les plus nantis. Cette triple peine met en évidence un aspect troublant des inégalités : leur impact sur la santé et l’espérance de vie. La pauvreté n’est pas seulement un désavantage économique ; elle a des effets profonds sur l’ensemble du parcours de vie d’une personne, y compris sur sa santé et sa longévité. Les personnes pauvres, limitées par des ressources restreintes, ont souvent un accès réduit à une alimentation nutritive, aux soins de santé, à des environnements de vie sûrs et à une éducation de qualité. Cette privation systémique entraîne des résultats de santé moins favorables, davantage de maladies chroniques et des taux de handicap plus élevés, ce qui mène, en fin de compte, à une espérance de vie plus courte.
L’expression inégalité face à la mort est particulièrement poignante, car elle saisit comment l’inégalité ne se limite pas seulement aux conditions de vie mais s’étend jusqu’à la fin de la vie. Des études montrent de manière constante que les déterminants sociaux comme le revenu, l’éducation et les conditions de travail sont aussi cruciaux pour la santé que les facteurs génétiques ou liés au mode de vie, voire davantage. Les populations pauvres, surtout dans les pays à revenu élevé, vivent en moyenne plusieurs années de moins que leurs homologues plus aisés, et ces années sont souvent marquées par des problèmes de santé importants ou un handicap.
Cette inégalité face à la mort souligne l’importance de politiques sociales globales visant à réduire les inégalités de revenus, à améliorer l’accès aux soins de santé et à traiter les déterminants sociaux plus larges de la santé. Cela traduit le besoin d’un engagement sociétal pour créer des conditions permettant à tous de vivre non seulement plus longtemps, mais en meilleure santé et de manière plus épanouissante.
Le niveau de diplôme illustre bien cette inégalité devant la mort comme l’illustre une étude récente portant sur la France (1). Plus on est diplômé, plus on vit longtemps. Chez les hommes, l’écart est colossal : un diplômé de l’enseignement supérieur vivra en moyenne 8 ans de plus qu’un homme sans diplôme. Chez les femmes, l’écart est de 5,4 ans. Les mêmes écarts se retrouvent si l’on compare les durées de vie en bonne santé. Le diplôme apparaît ainsi comme un véritable bouclier contre la précarité et les risques sanitaires. Malgré des progrès, l’espérance de vie en France reste profondément marquée par les inégalités sociales. Les ouvriers et les non-diplômés continuent de vivre moins longtemps et en moins bonne santé que leurs homologues cadres et diplômés. Une fracture sociale qui persiste génération après génération.
Un des effets de cette inégalité face à la mort est qu’elle donne lieu à des études statistiques biaisées sur la pauvreté des personnes âgées. En effet dans la mesure où les pauvres ont une espérance vie plus faible que les autres, ils sont sous-représentés quand on calcule le taux de pauvreté chez les personnes âgées. En d’autres termes, si les pauvres avaient la bonne idée de vivre aussi longtemps que les nantis, ce taux serait plus élevé.
En France, 1,2 million de personnes âgées de 60 ans et plus vivent sous le seuil de pauvreté, soit 8,9% de cette tranche d'âge. Ce taux serait sensiblement plus élevé si la longévité des pauvres venait à égaler celles des classes plus aisées.
(1). Blanpain N., « L’espérance de vie par catégorie sociale et par diplôme jusqu’en 2020-2022 – méthode », Documents de travail no 2024-17, Insee, juillet 2024.
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