Pierre Pestieau
Aller dans un EHPAD (en Belgique, MRS pour maison de repos et de soins) plutôt que de rester chez soi semble avoir un effet débilitant. Est-ce avéré? Si c'est le cas, pourquoi?
L’hypothèse selon laquelle aller en EHPAD plutôt que de rester à domicile aurait un effet débilitant n’est pas sans fondement, même si les résultats empiriques ne sont pas probants. La question de la causalité se pose avec évidence. Il ne faut pas négliger un possible effet de sélection : les personnes qui entrent en EHPAD sont souvent déjà les plus fragiles, ce qui rend difficile la comparaison avec celles qui restent à domicile. Même si l’on peut tout contrôler, il est possible que la personne placée en institution ait des caractéristiques non observables qui conduiront à ce déclin. Certaines études suggèrent que le placement en institution peut conduire à un déclin accéléré des capacités fonctionnelles ou cognitives. Cela ne signifie pas nécessairement que l’ EHPAD est en cause directement. Plusieurs mécanismes peuvent expliquer ce déclin.
D’une part, l’entrée en EHPAD survient souvent à un moment critique, lorsque la perte d’autonomie est déjà avancée. Le changement d’environnement, la perte de repères et de routines, et la séparation du cadre de vie familier peuvent entraîner un stress important, parfois difficile à surmonter, en particulier chez les personnes âgées vulnérables. Ce stress peut contribuer à une dégradation de l’état général, notamment cognitive.
D’autre part, on observe une moindre stimulation physique et sociale en EHPAD, comparée à un maintien à domicile bien accompagné. Cela peut mener à un désengagement progressif, une réduction de l’autonomie restante, et un sentiment de dévalorisation. Toutefois, cela dépend fortement de la qualité de l’établissement, du personnel, de la politique de soins et de la capacité à maintenir des liens sociaux et familiaux.
Ce qui paraît incontestable est que l’effet débilitant de l’entrée en EHPAD dépend fortement des conditions d’accueil, du profil des résidents et de l’alternative disponible à domicile. L’enjeu est de rendre l’institution non seulement soignante, mais aussi stimulante et respectueuse de l’autonomie restante.
Il convient d’éviter une vision trop simpliste. Un maintien à domicile dans de mauvaises conditions - isolement social, négligence des soins, alimentation insuffisante, chutes répétées - peut être bien plus débilitant qu'un Ehpad de qualité.
L'idéal serait probablement un continuum de solutions intermédiaires - services à domicile renforcés, habitat partagé, accueil de jour - permettant de retarder l'entrée en institution tout en préservant la sécurité.
Terminons par une observation révélatrice. Selon plusieurs études récentes, une écrasante majorité de Français – environ 94 % – aspirent à vieillir chez eux, préservant ainsi leur autonomie et leur cadre de vie familier le plus longtemps possible.
Si ce chiffre reflète une aspiration légitime et largement partagée, la réalité du terrain révèle néanmoins un paradoxe troublant. D'un côté, de nombreux aînés, particulièrement parmi les plus dépendants, maintiennent une vie à domicile qui n'est plus adaptée à leurs besoins, faute de moyens économiques suffisants ou d'un accompagnement sanitaire adéquat. De l'autre, plusieurs résidents d'EHPAD pourraient vraisemblablement bénéficier d'un maintien à domicile avec un soutien approprié.
Cette inadéquation entre les aspirations, les besoins réels et l'offre de prise en charge souligne la nécessité de repenser notre approche du vieillissement et d'adapter nos politiques publiques à cette réalité complexe.
Trop souvent les politiques publiques confrontent les individus à des choix binaires: EPHAD ou chez soi; travail ou retraite etc… Cela ne permet pas de capturer de manière adéquate la diversité des circonstances ou des besoins, et conduit nécessairement à des pertes de bien-être.
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