Victor Ginsburgh
Nous sortons de la période festivalière (Aix-en-Provence,
Avignon, Bayreuth Salzburg, et quelques centaines si pas milliers d’autres), et
c’est sans doute le bon moment pour en évaluer les retombées, de même que
celles des autres événements cités dans le titre de cet article. Il est largement admis, très souvent
sans beaucoup de preuves, que ces événements n’ont que des conséquences bénéfiques :
ils ont évidemment un effet très positif pour ceux qui les fréquentent ; ils
en ont parfois sur les infrastructures ; ils augmentent les revenus dans
la région où ils ont lieu, ils créent des emplois, ils augmentent le nombre de
touristes et donc de nuitées dans les hôtels et la fréquentation des
restaurants, et rendent par conséquent heureux les habitants du coin, même s’ils
n’y participent pas de façon directe. Mais, qu’en est-il vraiment ?
L’effet sur les infrastructures est évident :
on améliore les voies de communication, on construit des musées, des salles d’exposition
et de spectacle, on restaure heureusement un peu les vieux théâtres grecs ou
romains, etc., sans se demander si les « sous soutirés » aux pouvoirs
publics locaux, régionaux ou nationaux pour financer les méga spectacles n’auraient
pas pu être utilisés bien mieux en dotant et en rénovant les académies et conservatoires
qui sont dans un piteux état, et en finançant l’enseignement des arts dans les
écoles et lycées, de façon à inciter les jeunes à s’intéresser aussi à autre
chose qu’à Madonna, Lady Gaga et Facebook.
Les autres effets sont bien plus délicats à
mesurer. Les méthodes couramment utilisées pour ce faire sont ou bien l’enquête avant l’événement (1),
très critiquée parce qu’il vaut sans doute mieux « ne pas avoir de chiffre
plutôt qu’un mauvais chiffre » (2), ou
bien l’enquête durant l’événement qui porte sur les dépenses que les
visiteurs y consacrent et le degré de satisfaction de tous les participants.
Que les élus locaux en recherche d’électeurs s’y
pavanent avec délectation, et que les visiteurs, spectateurs, auditeurs et
journalistes sont heureux est assez clair, sans quoi ils n’iraient pas et cela
contribue sans aucun doute au plaisir de leurs vacances. Mais c’est loin d’être
le cas des habitants locaux, comme le montre une étude (3) sur les retombées
des événements organisés dans les villes consacrées « Capitales
Européennes de la Culture » (CEC).
Quelques chiffres pour en préciser d’abord la
dimension. Depuis leur création en 1985, 60 villes ont « bénéficié »
de ce label, et Mons en Hainaut nous arrive en 2015. Plus des trois quarts des
investissements structurels consentis entre 1995 et 2004 dans les 21 villes
examinées proviennent des pouvoirs publics. Quelques 500 projets culturels à
chaque occasion. En moyenne, 12% d’augmentation des nuitées d’hôtel durant
l’événement, mais une chute de 4% par rapport à la moyenne pour l’année
suivante et pas d’analyse de ce qui se passe par la suite.
L’étude montre que dans les villes étudiées (4), et
ce quelle que soit la méthode d’évaluation économétrique utilisée, la satisfaction
des habitants diminue pendant
l’événement (pollutions diverses, bruit, trafic, etc.) et revient à son niveau précédant
l’événement, durant les années qui suivent. Ce désagrément est loin d’être
négligeable. Il équivaut en effet à un quart de la réduction de bien-être que
ressent un chômeur par rapport à un travailleur. L’idée que ce genre
d’événement rend les citoyens du coin et des environs plus heureux est donc
erronée.
Tant pis pour le bonheur des habitants puisque,
sans aucun doute, les retombées économiques dont les organisateurs des
événements se targuent pour obtenir les financements publics sont énormes. Et
en effet, lorsque les dépenses (pas les profits nets) des visiteurs sont comparées
au coût de l’événement, le solde est miraculeusement positif, parce qu’on y
inclut les dépenses des 30 à 40% de visiteurs locaux, qui substituent
simplement une dépense à une autre ; des autres visiteurs nationaux (20 à
30%) qui provoquent un déplacement de la dépense d’une ville à l’autre dans la
même région, ce qui revient en quelque sorte à un « emprunt » au
voisin ; des visiteurs d’un jour (10 à 20%) qui ont amené leur
pique-nique, voire leur sac de couchage.
Restent les 10 à 20% d’étrangers au pays, cette
fois un apport à la ville ou au pays organisateur. Je doute que le festival
d’Avignon ou de Salzburg fasse beaucoup mieux que les CEC, une fois décomptés les
journalistes ainsi que les visiteurs locaux et nationaux.
Au sujet des méga expositions temporaires, deux
mots que j’emprunte à Philippe de Montebello, ancien directeur du Metropolitan
Museum de New York. Lorsqu’on lui demandait quel « show » il
préparait pour la rentrée, il répondait qu’il était directeur du Metropolitan
Museum et pas du Metropolitan Opera (5).
Il ne faudrait pas en déduire que je suis
« contre la culture », bien au contraire, mais je suis pour une
culture bien administrée et pas nécessairement pour les méga événements auxquels
seuls certains peuvent se permettre d’assister et dont les autres sont informés
par les journalistes invités qui nous en racontent les détails dans la presse. Déplacer
la culture « ailleurs » attire sans doute ceux qui sont en vacances
et qui, le soir du spectacle, veulent se montrer bronzés au retour de la plage
ou de la piscine. On dira que cela les introduit à la culture et qu’ils deviendront
par la suite des accros de l’Opéra de la Monnaie, de l’Orchestre de Liège, ou
du Théâtre National. Je n’en crois rien, et cela n’a en tout cas à ma
connaissance, jamais été démontré.
Je ne dis pas non plus qu’il faut supprimer les
festivals et les méga expositions, mais il faut savoir que, contrairement à ce
que leurs organisateurs affirment, leurs effets économiques sont au mieux nuls
et que leurs budgets pourraient être affectés à des projets dont les retombées
à court et long terme sur le bien être des populations locales sont plus
importantes. Seule consolation : le bilan des événements sportifs, depuis
les Jeux Olympiques jusqu’aux compétitions et autres championnats, y compris Francorchamps,
est pire (6).
(1) Ce sont les méthodes dites
d’évaluation contingente qui comportent des questions du style « combien
êtes-vous prêt à payer pour tel événement organisé dans votre bonne
ville » avec le réponse classique « autant que vous voulez », puisqu’on
ne vous demandera pas de payer ; ou « combien voulez-vous être payé
pour vous compenser si nous prenons l’initiative d’organiser XYZ » ce qui
est pire.
(2) Peter
Diamond and Jerry Hausman, Contingent valuation : Is some number better
than no number, Journal of Economic
Perspectives 8 (1994), 45-64.
(3)
Bruno Frey, Simone Hotz and Lasse Steiner, European capitals of culture and
life satisfaction,
(4) Localisées
dans les pays suivants : en Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne,
Finlande, France, Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal,
Royaume-Uni et Suède.
(5)
Voir Bruno Frey and Isabelle Busenhart, Special exhibitions and festivals, dans
Victor Ginsburgh and Pierre-Michel Menger, eds., Economics of the Arts, Amsterdam : Elsevier, 1996.
(6)
Voir Victor Matheson, Mega-events : The effect of the world’s biggest
sporting events on local, regional and national economies, dans Dennis Howard
and Brad Humphrey, eds., The Business of
Sports, Westport : Praeger, 2008.