mercredi 26 août 2015

Désarroi des agriculteurs


Pierre Pestieau
Plus que jamais on parle du désarroi des agriculteurs.
Tracteur qui fut pendant 18 ans le centrede l’activité agricole de ma famille
Que faut-il en penser ? Mes origines paysannes me permettent de mieux comprendre ce désarroi et d’avoir une empathie réelle pour ce secteur qui dans nos sociétés rétrécit comme une peau de chagrin. Vu de l’extérieur on peut avoir deux réactions opposées. La première est une réaction d’agacement, voire d’hostilité, qui tourne autour de thèmes éculés tels que les paysans se plaignent toujours ; quand on a fermé les mines et les usines sidérurgiques, on a pas fait autant de foin (!) ; ils ont un pouvoir de nuisance comparable à celui des routiers et des chauffeurs de taxi ; ils bénéficient déjà d’aides multiples. La seconde est une réaction de solidarité et de sympathie. On les voit comme étant les victimes de la mondialisation et de la politique européenne. On estime qu’ils doivent être soutenus pour garder à nos campagnes leur charme. Tout simplement, on ne peut pas être indifférent à une profession qui est sujette à un nombre inquiétant de suicides. J’ajouterais au passage que de nombreux Belges et surtout Français témoignent d’une schizophrénie remarquable sur le sujet. Ils déplorent une situation où les paysans vendent leurs produits à des prix inférieurs aux coûts mais tout à la fois ils se réjouissent de les payer à ces prix. De plus, ils affichent de l’attachement à une agriculture de qualité, voire écologique, mais ils continuent à acheter de la viande aux hormones.

Dès l’abord, il faut observer que la question agricole est complexe et que la population agricole est diverse, plus que ne le laisse croire la dichotomie petits et gros fermiers. Sans vouloir être exhaustif, il est évident que les productions de viande, de produits laitiers, de fruits et légumes et de céréales posent chacune des problèmes très différents. Dans le monde agricole comme ailleurs, il y aura toujours des gens qui tireront leur épingle du jeu ; soutenus par leurs fédérations (la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) en France et le Boerenbond en Belgique) et ayant une taille suffisante, ils sauront s’adapter à la technologie, aux variation de l’offre et de la demande mondiale et à l’éventail de subventions et réglementations (jachères, quotas) nationales et européennes. Par ailleurs, il y a tous ceux qui souffrent d’une taille trop faible ou qui sont surendettés après avoir acheté de coûteuses machines ou réglé une succession écrasante.
Dans la question agricole, il importe de distinguer ce qui est conjoncturel et temporaire de ce qui relève d’un terme plus long. Lorsque le marché russe de produits laitiers se ferme brusquement à nos producteurs pour des raisons politiques, il me semblerait logique qu’ils puissent disposer d’une aide passagère. En revanche, si les producteurs étrangers sont capables de fournir à moindre coût non pas parce qu’ils exploitent leurs travailleurs mais simplement parce qu’ils sont plus efficaces, (échelle plus grande, technologie plus avancée, terres plus fertiles), il y a lieu de s’interroger sur la viabilité des filières ainsi touchées.
Comme ailleurs, on assiste ici à des dérapages de l’économie de marché dans une société mondialisée. Deux exemples de cela. S’il peut être prouvé que les produits agricoles importés impliquent des pratiques inacceptables telles que la destruction de l’environnement, l’expropriation de petits paysans, une rémunération du travail misérable, il y a lieu de réagir mais comment ? Le problème se pose dans de nombreux domaines, le plus connu étant celui du textile qui vient de Chine et est produit dans des conditions qu’il n’est pas possible de concurrencer. 
Autre exemple. Il est vraisemblable qu’une certaine activité agricole soit indispensable même si sensu stricto elle n’est pas rentable. D’une part parce qu’elle permet de maintenir à la campagne tout son attrait. D’autre part, en cas de crise internationale, elle assure une certaine sécurité alimentaire. Ces deux arguments sont défendables ; encore faut-il les étayer.
Dans les discussions, il est important de raison garder et de se rappeler l’histoire de la paille et de la poutre. On a beaucoup entendu ces dernières semaines à propos de la crise du porc, les producteurs français dénoncer la concurrence déloyale que leur font leurs collègues allemands, qui emploieraient de la main d’œuvre au noir. On sait que de nombreux secteurs agricoles en France recourent aussi à cette main d’œuvre soldée et maltraitée.
Pour conclure en économiste, il me semble que lorsque l’on discute de la rentabilité de tel ou tel secteur agricole, il importe de ne pas se baser sur les seuls coûts privés mais d’y ajouter le coût social que les arrosages abusifs, les engrais et les pesticides, l’impact du lisier, des bouses et de la fiente sur les nappes phréatiques impose à l’environnement. Il faudrait en outre en soustraire le gain que représente l’agriculture pour la sécurité alimentaire et la qualité des campagnes. Il est peu probable que ce gain compense ce coût social dans tous les secteurs. On peut cependant conjecturer que le solde (bénéfice moins coût social) est davantage positif dans les exploitations de petite taille adoptant une approche ‘bio’.


1 commentaire:

  1. Je distinguerai pour ma part l'agriculture végétale (qui se porte plutôt bien je crois) et l'élevage (qui est en crise). Loin de vouloir jeter la pierre aux éleveurs qui font un métier particulièrement difficile, mal considéré et mal payé, je constate que notre consommation excessive de viande nous emmène droit dans le mur (écologie, éthique, santé...) et je partage le point de vue de Brigitte Gothière là-dessus:

    http://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/agriculture/crise-des-eleveurs/crise-agricole-l-elevage-est-une-aberration_1013323.html

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