Pierre
Pestieau
Plus
que jamais on parle du désarroi des agriculteurs.
Que faut-il en penser ? Mes
origines paysannes me permettent de mieux comprendre ce désarroi et d’avoir
une empathie réelle pour ce secteur qui dans nos sociétés rétrécit comme une
peau de chagrin. Vu de l’extérieur on peut avoir deux réactions opposées. La première
est une réaction d’agacement, voire d’hostilité, qui tourne autour de thèmes
éculés tels que les paysans se plaignent
toujours ; quand on a fermé les
mines et les usines sidérurgiques, on a pas fait autant de foin (!) ; ils ont un pouvoir de nuisance comparable à
celui des routiers et des chauffeurs de taxi ; ils bénéficient déjà
d’aides multiples. La seconde est une réaction de solidarité et de
sympathie. On les voit comme étant les victimes de la mondialisation et de la
politique européenne. On estime qu’ils doivent être soutenus pour garder à nos
campagnes leur charme. Tout simplement, on ne peut pas être indifférent à une
profession qui est sujette à un nombre inquiétant de suicides. J’ajouterais au
passage que de nombreux Belges et surtout Français témoignent d’une
schizophrénie remarquable sur le sujet. Ils déplorent une situation où les
paysans vendent leurs produits à des prix inférieurs aux coûts mais tout à la
fois ils se réjouissent de les payer à ces prix. De plus, ils affichent de
l’attachement à une agriculture de qualité, voire écologique, mais ils
continuent à acheter de la viande aux hormones.
Tracteur qui fut pendant 18 ans le centrede l’activité agricole de ma famille |
Dès
l’abord, il faut observer que la question agricole est complexe et que la
population agricole est diverse, plus que ne le laisse croire la dichotomie
petits et gros fermiers. Sans vouloir être exhaustif, il est évident que les
productions de viande, de produits laitiers, de fruits et légumes et de
céréales posent chacune des problèmes très différents. Dans le monde agricole
comme ailleurs, il y aura toujours des gens qui tireront leur épingle du
jeu ; soutenus par leurs fédérations (la Fédération nationale des
syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) en France et le Boerenbond en Belgique) et
ayant une taille suffisante, ils sauront s’adapter à la technologie, aux
variation de l’offre et de la demande mondiale et à l’éventail de subventions
et réglementations (jachères, quotas) nationales et européennes. Par ailleurs,
il y a tous ceux qui souffrent d’une taille trop faible ou qui sont surendettés
après avoir acheté de coûteuses machines ou réglé une succession écrasante.
Dans
la question agricole, il importe de distinguer ce qui est conjoncturel et
temporaire de ce qui relève d’un terme plus long. Lorsque le marché russe de
produits laitiers se ferme brusquement à nos producteurs pour des raisons
politiques, il me semblerait logique qu’ils puissent disposer d’une aide
passagère. En revanche, si les producteurs étrangers sont capables de fournir à
moindre coût non pas parce qu’ils exploitent leurs travailleurs mais simplement
parce qu’ils sont plus efficaces, (échelle plus grande, technologie plus
avancée, terres plus fertiles), il y a lieu de s’interroger sur la viabilité
des filières ainsi touchées.
Comme
ailleurs, on assiste ici à des dérapages de l’économie de marché dans une société
mondialisée. Deux exemples de cela. S’il peut être prouvé que les produits
agricoles importés impliquent des pratiques inacceptables telles que la destruction
de l’environnement, l’expropriation de petits paysans, une rémunération du
travail misérable, il y a lieu de réagir mais comment ? Le problème se
pose dans de nombreux domaines, le plus connu étant celui du textile qui vient
de Chine et est produit dans des conditions qu’il n’est pas possible de
concurrencer.
Autre
exemple. Il est vraisemblable qu’une certaine activité agricole soit
indispensable même si sensu stricto
elle n’est pas rentable. D’une part parce qu’elle permet de maintenir à la
campagne tout son attrait. D’autre part, en cas de crise internationale, elle assure
une certaine sécurité alimentaire. Ces deux arguments sont défendables ;
encore faut-il les étayer.
Dans
les discussions, il est important de raison garder et de se rappeler l’histoire
de la paille et de la poutre. On a beaucoup entendu ces dernières semaines à
propos de la crise du porc, les producteurs français dénoncer la concurrence
déloyale que leur font leurs collègues allemands, qui emploieraient de la main
d’œuvre au noir. On sait que de nombreux secteurs agricoles en France recourent
aussi à cette main d’œuvre soldée et maltraitée.
Pour
conclure en économiste, il me semble que lorsque l’on discute de la rentabilité
de tel ou tel secteur agricole, il importe de ne pas se baser sur les seuls
coûts privés mais d’y ajouter le coût social que les arrosages abusifs, les engrais
et les pesticides, l’impact du lisier, des bouses et de la fiente sur les
nappes phréatiques impose à l’environnement. Il faudrait en outre en soustraire
le gain que représente l’agriculture pour la sécurité alimentaire et la qualité
des campagnes. Il est peu probable que ce gain compense ce coût social dans
tous les secteurs. On peut cependant conjecturer que le solde (bénéfice moins
coût social) est davantage positif dans les exploitations de petite taille
adoptant une approche ‘bio’.
Je distinguerai pour ma part l'agriculture végétale (qui se porte plutôt bien je crois) et l'élevage (qui est en crise). Loin de vouloir jeter la pierre aux éleveurs qui font un métier particulièrement difficile, mal considéré et mal payé, je constate que notre consommation excessive de viande nous emmène droit dans le mur (écologie, éthique, santé...) et je partage le point de vue de Brigitte Gothière là-dessus:
RépondreSupprimerhttp://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/agriculture/crise-des-eleveurs/crise-agricole-l-elevage-est-une-aberration_1013323.html