jeudi 6 mai 2021

Le médecin et le psychologue

Pierre Pestieau

 

J’ai récemment eu l’occasion d’assister, en distanciel, à une excellente conférence sur le vieillissement. Elle était donnée par le Professeur Eric Verdin et s’intitulait : "Limites de la longévité humaine: une révolution scientifique et ses applications à l'homme". Éric Verdin est actuellement Directeur de l'Institut Buck pour la recherche sur le vieillissement, situé en Californie. Un État où, soit dit en passant, prospèrent plusieurs centres transhumanistes axés sur cette thématique, dont le fameux Calico, une société de biotechnologies fondée par Googledont le but avoué est de se concentrer sur le défi de la lutte contre le vieillissement et les maladies associées, avec pour projet de Tuer la mort.


La conférence d’Éric Verdin était plus raisonnable. Elle tentait de montrer que les risques de maladies chroniques qui, aujourd’hui, nous empêchent de devenir centenaires pouvaient être fortement mitigés si l’on adoptait une vision préventive plutôt que curative de la médecine. Par préventif, il incluait bien sûr les tests médicaux traditionnels mais aussi le mode de vie : exercice physique, activités sociales, alimentation, fin du tabagisme et de l’alcoolisme.

 

Ce qui m’a le plus surpris dans sa conférence est l’importance qu’il donnait aux facteurs de responsabilité dans la mortalité, à savoir plus de 90%. Je savais que collectivement ou individuellement nous pouvions affecter notre longévité. Collectivement en veillant à un environnement propre et à une politique de prévention proactive. Individuellement en adoptant un style de vie sain. Mais de là à penser que cette responsabilité compte pour 90%, laissant un malheureux 10% aux facteurs génétiques, cela me paraît fort de café  (dont il ne faut pas abuser pour vivre longtemps). Ces chiffres viennent d’un article savant que je ne veux pas remettre en question (2) et, je pense que le problème est ailleurs.

 

Quand on vous dit que vous êtes responsable de votre longévité, il est difficile de ne pas y voir une implication moralisatrice. Implicite aux discours ambiants, il y a la culpabilisation de ceux qui n’ont pas la volonté de faire le maximum pour éviter le naufrage de la vieillesse, pour reprendre les mots du Général De Gaulle. Or nous ne sommes pas tous égaux face aux risques du vieillissement. On sait que les personnes qui ont des difficultés financières vivent dans un environnement moins salubre et ont un mode vie moins sain que les personnes aisées. Il est naïf de penser que tout est une question de choix.


Je prendrai l’exemple du tabagisme qui est  plus répandu parmi les pauvres. C'est pourquoi les dépenses de tabac représentent une part importante du revenu des familles défavorisées. Or, l’argent qui passe dans le tabac ne peut être dépensé pour des besoins essentiels comme l’alimentation, le logement, l’éducation et les soins de santé. Le tabac peut en outre aggraver la pauvreté des fumeurs qui sont beaucoup plus susceptibles de tomber malade, leur imposant des dépenses supplémentaires pour les soins de santé. D’aucuns s’étonnent que face à cette double peine, les pauvres ne choisissent pas d’arrêter de fumer. 

 

Mais ce n’est pas si simple. Les raisons pour lesquelles les pauvres ont plus de difficulté à s’arrêter de fumer sont nombreuses. J’en citerai trois qui interagissent. Il y a d’abord l’effet d’addiction. Il y a ensuite l’effet de groupe (peer group effect) : le tabagisme est mieux considéré et donc pratiqué chez les pauvres. Enfin, la précarité empêche de se projeter dans l'avenir et donc de se soucier de sa santé sur le long terme. 

 

Pour lutter contre le tabagisme chez les pauvres, les sermons ne servent pas à grand-chose et les accises ont surtout pour effet de les appauvrir davantage.

 

(1). Cette conférence peut être vue sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=13Rty_yhfQQ

(2). Ruby, J., K. Wright, K. Rand, A. Kermany, K. Noto, D. Curtis, N. Varner, D. Garrigan, D. Slinkov, I. Dorfman, J. Granka, J Byrnes, N. Myres, and C. Ball (2018): Estimates of the heritability of human longevity are substantially inflated due to assortative mating, Genetics, Vol. 210, 1109–1124.

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