Pierre Pestieau
Il existe différentes motivations pour taxer. Les deux principales sont le besoin de financer les dépenses publiques et celui de redistribuer les revenus. Deux autres motivations, moins connues, sont d'une part la nécessité d'internaliser des coûts ignorés par le marché et d'autre part le souci de modifier le comportement des agents économiques. L'environnement est un domaine où la taxation pénalise ceux dont les activités génèrent pollution et nuisances. Dans le jargon économique, on parle de "taxe pigouvienne", souvent conçue pour transformer les comportements. La santé constitue également un champ d'action où l'État surtaxe des produits jugés nocifs afin d'en décourager la consommation.
Lorsque l'objectif premier est de transformer les habitudes de consommation, on parle parfois d’ une "taxe comportementale", voire une "taxe peccamineuse" (sin tax). La taxe vous dissuade de "pécher". Inversement, l'État peut subventionner des alternatives vertueuses. La taxe carbone appartient à cette catégorie d'imposition — j'y reviendrai dans un prochain billet. Les taxes sur le tabac, l'alcool et les sodas s'inscrivent également dans cette logique.
En 1990, le paquet de cigarettes coûtait 1,50 euros. Aujourd'hui, il atteint 11,50 euros, dont 80% reviennent à l'État. Le tabagisme quotidien a certes reculé, mais demeure encore largement répandu. On observe des disparités régionales significatives, avec des taux généralement plus élevés en Wallonie qu'en Flandre. L'impact dissuasif reste finalement modeste.
Outre cette résistance des consommateurs, deux problèmes majeurs persistent. D'une part, l'explosion des circuits parallèles. Les achats transfrontaliers et le marché noir privent l'État de recettes substantielles. D'autre part, une injustice sociale flagrante. L'écart de prévalence du tabagisme quotidien entre les plus bas et les plus hauts revenus est élevé et grandissant. Ce sont donc les populations défavorisées qui supportent le poids le plus lourd de cette fiscalité. En d'autres termes, cette taxe s'avère régressive. Sans réellement modifier le comportement des personnes à faibles revenus, elle leur enlève du pouvoir d’achat..

Les boissons sont aussi un marqueur social; les sodas sont davantage consommés par les classes populaires. Introduite en 2015, la taxe soda vise à lutter contre l’obésité, le diabète et les maladies cardiovasculaires, ainsi que leur coût pour l’Assurance maladie.
Elle rapporte beaucoup a l’Etat mais elle semble avoir peu d’effet sur le comportement d'achat. Une faible taxe augmentée petit à petit, comme cela se passe actuellement, ne crée pas d’effet-choc. Le consommateur s’habitue simplement à ces nouveaux prix sans modifier son comportement. Au final, ce sont surtout les moins aisés qui ressentent l’impact financier d’une telle taxe. Cela étant, ce sont également eux qui vivent et mangent en général de manière un peu moins saine et qui risquent donc davantage de devenir obèses.
Les problèmes de santé causés par le tabac et les boissons sucrées nécessitent une approche globale et transversale. Il est essentiel de définir une politique claire, avec des objectifs concrets et un suivi rigoureux. L'augmentation des taxes sur les produits dont il faut limiter la consommation peut faire partie d'un plan global, mais elle ne sera jamais aussi efficace que d'autres mesures telles qu'un meilleur étiquetage, des portions plus petites et une meilleure information. Il importe surement de moins moraliser la politique de dissuasion, comme le fait le terme « peccamineux ».

Ces taxes semblent davantage destinées à remplir les caisses de l’État qu’à modifier réellement les comportements. Ce sont les plus modestes qui en paient le prix.
Merci Pierre ! Et une voie complémentaire additionnelle est la régulation de la publicité !
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