Pierre Pestieau
Pendant des années, Martine a rempli de la paperasse pour que sa grand-mère puisse toucher l’aide sociale de son département, le Val-de-marne. Mais elle n’a jamais prêté attention à cette petite précision figurant au bas des formulaires : « Récupérable sur la succession ». Le 13 juillet, sa chère aïeule décède, à 101 printemps sonnés, et Martine fonce aussitôt à Charles-Foix, l’hôpital gériatrique où sa grand-mère a fini sa vie.
Sur place, une assistante sociale l’avertit : « Renseignez-vous bien avant d’accepter la succession. – Mais pourquoi ? – Votre grand-mère a une dette énorme auprès du département. » Martine tombe à la renverse : la fameuse « aide sociale », qui prend en charge les frais d’hébergement des personnes âgées sans ressources suffisantes, n’est en réalité qu’une forme d’avance. C’est la loi. Encore faut-il la connaître.
Après des années de versements, le département réclame 203 000 euros, à prélever sur la succession de la vieille dame. Bien plus que son héritage, qui se monte à 35 000 euros. Martine a donc refusé la succession pour ne pas écoper de la dette.
Cette anecdote vient du Canard Enchaîné du 29 septembre 2011. Elle est rapportée sous le même titre que ce blog et est présentée sur un ton désapprobateur. Elle touche à une question importante : la pratique des tests de ressource en politique sociale. Le fait que le test de ressource ait lieu après la mort et entraîne un choc supplémentaire pour la famille endeuillée est d’une certaine manière secondaire.
La plupart des Etats-providence ont développé à côté de l’assurance sociale qui couvre la retraite, la perte d’emploi, la maladie et l’invalidité des programmes d’assistance sociale qui s’adressent généralement à des personnes qui n’ont pas contribué au système, le plus souvent faute de revenus et qui reçoivent une aide dont le montant est réduit si ces personnes disposent de ressources propres. Le test de ressource concerne généralement les revenus de l’individu ou du couple. Dans certains cas, il peut inclure les revenus des parents pour le revenu d’insertion ou les ressources des enfants pour l’assurance dépendance.
Les tests de ressource posent plusieurs questions. Comment les justifier ? Quelle en est la pratique ? Doivent-ils inclure le patrimoine des ménages, voire de la famille ?
La justification est assez évidente. Dès lors que les recettes publiques ne sont pas illimitées, il est assez normal que pour lutter contre la pauvreté par exemple, on ne donne aux pauvres que la différence entre le seuil de pauvreté et les revenus, dont ils disposent. Si l’on donne à tous un montant uniforme, on crée outre des coûts budgétaires insupportables, des inégalités horizontales choquantes. Dans certains cas, les tests de ressource peuvent s’avérer impossibles du fait de la non-observabilité des revenus individuels. On doit alors se résigner à adopter une allocation universelle.
La loi varie selon les programmes et selon les pays. Dans certains cas, seuls les revenus de l’allocataire sont pris en compte. Dans d’autres cas, on prend aussi en considération son patrimoine, le revenu voire le patrimoine de ses enfants ou de ses parents. Etant donné la loi, ce qui est frappant c’est la variabilité de la mise en œuvre des tests. Ils sont très souvent laissés à la discrétion des responsables locaux. Si on se limite aux dépenses effectuées en cas de perte d’autonomie, on observe souvent une réticence à se retourner vers les enfants ou même vers les héritiers, à la différence de l’anecdote relatée ci-dessus. Cette variabilité dans les pratiques entraîne des injustices choquantes : des familles ayant les même ressources sont traitées différemment et trop souvent les tests sont appliqués plus sévèrement aux familles moins aisées qu’aux familles plus aisées mais qui ont les moyens d’y échapper. En France, le recouvrement sur succession s’applique à l’Allocation de solidarité aux personnes âgées et non pas à l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA). Bizarre. Aux Etats-Unis, les programmes d’assistance publique connus sous le non de Medicaid et censés aider les pauvres sont détournés de leur objectif premier pour venir en aide à des personnes aisées et dépendantes qui se sont appauvries en transférant leur ressources à leurs enfants. Comme le test de ressource ne s’étend pas à leurs enfants, elles bénéficient du Medicaid qui serait pourtant tellement utile pour lutter contre la vraie pauvreté.
Pour revenir à l’anecdote du début, on observe dans la plupart des sociétés une réticence généralisée contre le recouvrement sur succession. L’Etat a toujours beaucoup de peine à recouvrer un impôt si légitime soit-il lorsque se mêlent mort et famille. C’est ainsi que l’on peut expliquer l’impopularité des droits de succession qui ne touchent pas les familles les plus pauvres et le fait que le recouvrement sur succession même s’il est légal n’est que rarement appliqué.
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