Pierre Pestieau
Je viens d’arriver
à Washington. Il est intéressant
de voir que des deux côtés de l’Atlantique la même nouvelle peut être
interprétée différemment. De quoi s’agit-il ? D’un article intitulé "Croissance en période de
dette" (1). Cet article publié en 2010
par deux économistes de Harvard, Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff, s'appuye
sur des données collectées entre 1946 et 2009 sur un large échantillon de pays et
démontre que la croissance s'est révélée sensiblement inférieure dans les pays
dont la dette publique dépassait 90 % du PIB. Ce résultat a été largement
utilisé par les avocats de l’austérité, mais vient d’être partiellement remis
en cause par trois économistes de l’Université d’Amherst (2) qui ont repéré
quelques fautes de méthodologie, notamment une erreur dans un programme écrit
en Excel, et un échantillon dans lequel certains pays, dont la Belgique,
étaient exclus. En corrigeant ces fautes et en intégrant les pays « oubliés »
par Reinhart et Rogoff, les trois économistes d’Amherst obtiennent des résultats
moins accablants pour les pays endettés.
Aux Etats Unis, la nouvelle a été
accueillie sans grande passion, même si elle a fait la une de certains
quotidiens et des critiques féroces de Paul Krugman dans le New York Times. En France, l’accueil a été
beaucoup plus idéologique. Ainsi le Monde
du 17 avril note qu’une « erreur
dans une étude sur l’austérité dégomme les idées reçues. La nouvelle a de quoi redonner le sourire aux
Indignés ».
Cette anecdote soulève une série
de questions intéressantes : (i) Ce type d’erreur est-il fréquent ?
(ii) Les deux économistes d’Harvard ont-ils sciemment commis ces erreurs ?
(iii) Ces erreurs remettent-elles en cause le message des avocats de l’austérité ?
Il y a une trentaine d’années, Martin Feldstein,
un autre économiste de Harvard, avait écrit un article visant à montrer que les
retraites payées par l’Etat (répartition) avaient un effet négatif sur l’épargne
et dès lors sur la croissance. Feldstein utilisait un large échantillon de
pays. Cependant, en ajoutant quelques pays qu’il avait décidé d’éliminer, on
obtenait des résultats moins défavorables aux systèmes par répartition.
Avait-il opté pour une sélection de pays qui lui donnerait les résultats
souhaités ? Je ne le crois pas mais cela l’arrangeait. Le problème est ailleurs ;
il est sans doute dans le désir utopique de vouloir expliquer le comportement
des épargnants par une simple équation macroéconomique. Le raisonnement
économique de Feldstein était bien plus convaincant qu’une équation
économétrique pour conclure qu’une retraite par répartition avait des effets
négatifs sur l’épargne.
Comme Feldstein, Reinhart et
Rogoff devaient sans doute être satisfaits du résultat de leur étude; elle
donnait un vernis de confirmation à une conviction par ailleurs légitime. Je ne
crois pas qu’il y ait eu fraude au sens littéral du terme. Disons simplement
qu’ils se sont arrêtés de (mal) calculer dès que les résultats leur convenaient.
L’erreur est de trop croire en la capacité explicative des modèles macroéconomiques.
On notera en passant que les économistes d’Amherst qui ont repéré
l’« erreur » viennent d’une institution, une des seules, connue pour
ses idées de gauche (on dirait radicales aux Etats Unis).
Le commissaire européen pour les
affaires économiques et monétaires Olli Rehn évoquait une « recherche
sérieuse »
et a marché dans le coup comme un seul homme, ce qui montre qu’il est risqué
de la part des responsables d’appuyer des recommandations de politique économique
basées sur une seule étude. Or ce n’est pas parce qu’une étude est remise en cause qu’un
raisonnement perd de sa validité.
Il me semble
assez sensé de pousser les nations surendettées à pratiquer une certaine
austérité. Je ferais pourtant une objection et une remarque à cette
recommandation. L’objection est qu’il vaudrait mieux attendre une embellie
conjoncturelle pour pratiquer le désendettement. En ces temps de récession,
l’économie a besoin d’un certain soutien de la demande. La remarque concerne la
notion d’endettement d’une nation qui ne devrait pas se borner à la seule dette
publique, auquel s’est limité le débat dont il est question ici. Un système de
retraite par répartition peut constituer à lui seul une charge pour les
générations futures plus lourde que la dette publique même si celle-ci dépasse
90%.
(1) Reinhart, C. M. and K.S. Rogoff (2010), Growth in a Time
of Debt, American Economic Review: Papers
& Proceedings 100.
(2) Herndon, T., M. Ash and R.
Pollin
(2013), Does High Public Debt Consistently Stifle Economic Growth? A Critique
of Reinhart and Rogoff,
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