Victor Ginsburgh
Nous sortons de l’époque des cadeaux, mais il faut savoir que les êtres
humains ne sont pas, et de loin, les seuls à en faire. Les animaux s’en donnent
aussi à cœur joie, mais sans doute pour des raisons plus terre-à-terre que
nous—et encore, puisqu’ils sont souvent associés à la reproduction de l’espèce,
comme le raconterait un vulgaire darwiniste.
Les dons que se font les animaux sont en fait des cadeaux nuptiaux, un peu comme lorsque—en tout cas quand nous étions jeunes— nous invitions l’être dont
nous étions tombés amoureux au restaurant ou au dancing, et que nous dessinions
où nous pouvions, par exemple sur un arbre, un cœur transpercé d’une fléchette,
dont rien que l’image nous faisait bien évidemment souffrir.
Un phénomène similaire existe chez certains serpents qui se promènent dans nos
jardins. Ils sont hermaphrodites, chacun produisant aussi bien des œufs que du
sperme, mais doivent tout de même s’accoupler longuement pour assurer leur
progéniture. C’est pourquoi, avant de s’unir tendrement, le serpent envoie avec
une force redoutable à sa ou son désiré une fléchette d’amour qui ressemble à
un harpon et qui est produite dans sa région génitale. Ce harpon se fiche dans
n’importe quelle partie du corps de sa « proie » en délivrant une
puissante hormone d’amour, nous dirions un philtre. L’autre serpent répond de
la même façon. A la suite de quoi, ils se mettent à faire ce qu’il faut pour
donner le jour à de mignons petits serpenteaux (1).
Un certain petit coléoptère australien aime se loger sur des graines, où il
trouve peu d’accès à l’eau. Il se fait que les femelles ont très soif
lorsqu’elles pondent. C’est là qu’intervient le beau mâle qui stocke toute
l’eau qu’il rencontre durant ses longues promenades, la mélange à son sperme,
et attend qu’une femelle lui fasse de l’œil. Il lui fournit alors le mélange
décrit. Les biologistes qui étudient cet insecte se sont aperçus que plus une
femelle a soif, plus elle cherche des mâles, et plus elle en trouve avec le
stock d’eau qu’il faut, plus elle pond.
Certaines araignées mâles vont jusqu’à risquer leur vie pour faire des dons
à une bien-aimée convoitée. Mais ils (les araignées mâles) commencent par
trouver une proie à envelopper avec mille précautions de leur toile. Ils vont ensuite
avec bien des difficultés—parce que leur marche est réduite de plus de 60% par
le poids qu’ils portent, ce qui les rend très vulnérables à d’autres
bestioles—à la recherche d’une femelle à aimer à laquelle ils tendent leur précieux
cadeau.
Chez un certain type de grives, les mâles font aussi des cadeaux aux
femelles. Pour leur régulière, le cadeau consistera en un modeste petit insecte
empalé sur un bâtonnet, à la manière des hors d’œuvre de nos cocktails
dînatoires. S’il s’agit d’une maîtresse, le cadeau deviendra plus
succulent et royal : un petit lézard, un souriceau, voire un oiselet.
Le monde est bien fait quand même…
(1) Voir Natalie Angier, For
that Zeus bug in your life, The New York
Times, December 23, 2012.
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