Pierre Pestieau
Lors de mon récent voyage au Vietnam, j’ai bénéficié des services de trois
guides, l’un pour le sud, Saigon et le delta du Mékong, le deuxième pour Danang
et le centre du pays et le troisième pour le nord et la baie de Hailong. Ces trois
guides relevaient de la même agence de tourisme, localisée en Chine. Ils différaient
cependant jusqu’à la caricature.
Le premier, celui de Saigon, s’est présenté sous le nom de Truck, « Truck comme camion » nous dit-il.
Il s’approchait de la soixantaine. J’ai découvert par la suite que Truc était
un prénom vietnamien. Et progressivement il nous a révélé son histoire et n’a jamais
déguisé son amour pour la France et les Etats-Unis ni sa haine pour le nord et
Oncle Ho. Son grand-père et son père étaient proches des institutions françaises;
ils parlaient le français couramment, selon Truc. Lui même le parlait à peine
et s’exprimait dans un anglais rocailleux. Il était visiblement mal adapté au
Vietnam nouveau, au Vietnam pragmatique, à la fois socialiste et de plus en
plus capitaliste. Il n’était pas fait pour son métier de guide et sans doute
pour aucun autre. Il nous a révélé qu’il s’était embarqué fin des années 70 sur
un bateau pour s’exiler avec d’autres « boat people ». Mais il fut
aussitôt repris par les garde-côtes et emprisonné pendant quelques mois. Ce qui
l’a rendu encore moins employable en dépit d’un diplôme en études commerciales.
Le deuxième guide s’appelait Anh mais il nous a aussitôt demandé de l’appeler
Andy, son prénom de guide quand il s’adressait à des « caucasiens »
(terme qu’il affectionnait et qui était jadis utilisé aux Etats-Unis pour
parler des blancs). Il devait avoir la quarantaine. Ses grands parents
maternels avaient été selon ses dires enterrés vivants lors d’une reforme
agraire ; ils étaient latifundiaires. Son père était pilote de chasse dans
l’aviation sud-vietnamienne ; il était d’ailleurs né dans la base de
Danang, contrôlée par l’armée américaine. Son amour de l’Amérique était évident,
presque gênant. C’est avec lui que nous avons visité le remarquable site de My Son dont je parlerai dans un autre
blog.
Notre troisième guide s’appelait My ; elle n’avait pas de nom occidental et était nettement plus jeunejeune que Truck et Andy. Dès l’abord, le ton
était différent. Comme je lui indiquais une vieille tour de pierre à la périphérie
d’Hanoi, elle nous a répondu de façon
cinglante : « C’est le seul
vestige que les bombardiers américains nous ont laissé ». Elle a insisté
pour nous montrer la Maison Centrale (en français), l’ancienne prison que les
Français utilisaient surtout après 1945 pour y enfermer les opposants
politiques (1). On y exécutait les condamnés à mort ; la guillotine y est d’ailleurs
encore exposée. Cette Maison Centrale a été utilisée après les Accords de Genève
en 1954 et la scission du pays par le gouvernement du Vietnam du Nord. Lors de
la guerre du Vietnam, c’est là que certains pilotes américains ont été incarcérés,
dont, en 1969, l’ancien candidat à la présidence, John McCain. My a insisté sur le
fait qu’il fut beaucoup mieux traité que ne le furent les nationalistes vietnamiens
par les autorités françaises. Cette prison de taille assez modeste a abrité
jusqu'à 3000 prisonniers du temps de l’occupation française. Elle est aujourd’hui
devenue un musée consacré à la barbarie coloniale. En la visitant je n’ai pu éviter
le rapprochement avec une des prisons où a été incarcéré Mandela, qui lui aussi
s’était battu pour libérer son peuple.
Notre visite du Vietnam s’est achevée avec My qui incontestablement représente
l’avenir bien plus qu’Andy et Truck.
(1) Plus connue sous le nom de prison Hoa Lo.
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