Pierre Pestieau
Chaque fois que je séjourne à Washington, deux images contrastées me
viennent à l’esprit. Le Washington que j’ai connu lorsqu’étudiant j’ai
bénéficié d’un stage au Fonds
monétaire international (FMI); il y a de cela plus de 40 ans. Les Etats Unis était
alors la première puissance mondiale et pourtant leur capitale ressemblait à un
gros village. Depuis, Washington est devenue une grande métropole avec des
restaurants de tous les pays, un métro et des embouteillages monstres et les
Etats Unis pourraient perdre leur statut de première puissance.
Il y a quelques semaines se
tenaient les Assemblées annuelles du Groupe de la Banque mondiale et du FMI qui
offrent chaque année aux grands dirigeants du secteur public — banques
centrales, ministères des finances et du développement — et du secteur privé l'occasion
de se retrouver pour discuter le temps d’un week-end des problèmes du monde. Il
y a une dizaine d’années on avait quasiment besoin d’une escorte policière pour
s’y rendre. Les bâtiments de ces deux organisations étaient assiégés par des
centaines d’altermondialistes. L’époque est bien révolue : il n’y avait, cette année-ci, pas un seul manifestant.
En revanche, on y voyait une flopée d’équipes de journalistes prêts à
interviewer n’importe qui à défaut des grands de ce monde. J’ai même été
accosté par une de ces équipes. Tout fout le camp.
A la Banque Mondiale, on
ne lutte plus contre la pauvreté ; on déclare simplement sa fin. C’est
ainsi que les trottoirs qui entoure le bâtiment de la Banque Mondiale sont
incrustés de jolie pierres sur lesquelles sont gravés les mots :
« End of poverty ». C’est d’autant plus ironique, qu’à deux pas de
là, il y a un square ou l’on trouve des mendiants et des SDF. Visiblement, ils
ne savent pas lire.
A deux heures de Washington, près de Charlottesville, au cœur de la Virginie, on peut visiter Monticello, la maison et le domaine de
Thomas
Jefferson (1743-1826), troisième président des États-Unis, de 1801 à 1809. Connu pour être le principal auteur de
la Déclaration d'indépendance, le personnage est contemporain dans les contradictions
qu’il a incarnées tout au long de sa vie. Il était attaché aux Droits
de l'homme, pour
lesquels il lutta au sein de la Virginie et du pays. Dans tous ses écrits, il
parle de la nécessaire égalité entre les hommes et de l’importance de la
liberté ; il faisait partie de l'élite des Lumières. Et pourtant tout en le déplorant, il
vivait au milieu de 200 esclaves. Il fonda la fameuse University of Virginia,
qui bien sur n’admettait aucun étudiant noir et ce jusqu’en 1950. Quand on
l’interrogeait sur cette contradiction, il répondait qu’il fallait laisser le
temps au temps, qu’un jour l’esclavage disparaîtrait mais pas de son vivant. En
cela, il est universel car sa vie illustre les limites du pouvoir politique dont
Obama fait l’expérience, et le compromis inévitable que les gens les mieux
intentionnés doivent faire, et que Rocard illustre par son fameux : « La
France ne peut accueillir toute la
misère du monde ».
Autre
paradoxe, francophile invétéré (en témoigne une partie de sa bibliothèque était
composée d’ouvrages en français et sa cave à vin regorgeait des grands crûs de
l’époque) Jefferson a doublé la superficie des États-Unis par l'achat
de la Louisiane à Napoléon.
Enfin comment ne pas évoquer l’accueil
exceptionnel qu’a reçu Le Capital au XXIe siècle, le livre de Thomas Piketty consacré à la
montée des inégalités dans le monde. Enchaînant les colloques et les
conférences aux Etats-Unis aux côtés de Prix Nobel, Piketty n’a de cesse de dénoncer l'extrême concentration des richesses et de plaider pour une plus forte taxation des hauts revenus. Il ne faut pas bouder son
plaisir quand pour une fois un économiste français est ainsi encensé par la
profession. Il ne faut pas non plus être naïf. Les chiens aboient et la
caravane passe. Les économistes dénoncent les inégalités et les riches
continuent à s’enrichir.
Pauvre Rocard, la citation complète est "La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde, mais elle doit en prendre fidèlement sa part", mais on oublie presque toujours la seconde partie...
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