Pierre Pestieau
La première livraison de l’Obs (nouvelle formule du Nouvel Observateur parue le 23 octobre) proposait
un dossier intitulé « Les économistes sont-ils des imposteurs » ? Ce titre ressemble à celui du brûlot
publié il y a quelques années par Laurent Mauduit qui s’en prenait surtout à
ces économistes médiatiques qui donnent des avis d’experts au nom d’un
appartenance douteuse à un centre de recherche alors qu’ils sont généreusement
rémunérés par l’une ou l’autre banque d’affaires.
Le dossier de l’Obs est tout autre. Son objet est
expliqué par les premières lignes : « [Les économistes] influencent
les politiques et ont très souvent remplacé philosophes, sociologues et
historiens pour expliquer le monde ».
Et le dossier de commencer par un débat assez consensuel entre Daniel Cohen et
Marcel Gauchet. D’autres journaux et magazines ont repris ce thème d’une société
qui serait dominée par les économistes.
Comment expliquer ces réactions
qui font trop d’honneur à notre science lugubre (la dismal science comme l’appellent les anglophones ) ?
Il y a d’abord
l’attribution méritée du prix Nobel à Jean Tirole et simultanément la parution
d’un article du Fonds Monétaire International
qui inclut sept Français dans sa liste des vingt-cinq meilleurs économistes de
moins de 45 ans. Cela fait suite au succès du Capital au 21ème siècle de Thomas Piketty. Il y a aussi le fait
qu’il n’existerait plus de grands intellectuels du niveau de Sartre et Aron ou
plus récemment Barthes et Foucault.
Ceci dit, il est assez
ironique de contraster ces succès des économistes universitaires avec le déclin
imaginaire mais aussi réel qui frappe la France d’aujourd’hui. Les médecins
seraient-ils brillants mais la société malade ?
Il faut admettre qu’il existe un fossé entre les
politiques actuelles et les conseils que prodiguent ces économistes renommés.
La proposition de Jean Tirole de réformer le marché du travail et celle de
Thomas Piketty de refondre et de simplifier le système fiscal n’ont pas eu le
moindre écho, ni à droite ni à gauche. L’une et l’autre impliquent des
changements qui font peur aux hommes politiques.
Ce qui frappe un observateur extérieur, c’est que la
gestion de la France n’est pas du tout marquée par les impératifs économiques
mais bien par le souci de sauver un indéfinissable modèle français et une
croyance que la politique peut transcender les contraintes économiques. Citons
à ce propos Jean Peyrlevade : « Notre vision de l’économie est fondamentalement
celle d’une économie de guerre, au service du souverain et à l’appui de ses
rêves de puissance » (2).
Enfin, on remarquera que, dans les débats sur la
prétendue omniprésence de l’économie, ce sont souvent des non économistes qui
interviennent. Témoin Marcel Gauchet dans l’Obs, qui est
connu pour la formule « En France,
l’économie n’est qu’une annexe de la politique , une machinerie méprisée,
remisée avec l’intendance et les sans grade ».
(3)
(1) Laurent Mauduit (2012), Les imposteurs de l’économie : Comment ils
s’enrichissent et nous trompent, Paris : J.-C. Gawsewitch.
(2) Jean Peyrelevade (2014), Histoire d’une névrose, la France et son
économie, Paris : Albin Michel.
(3) Cité par Vincent Giret, Le mépris
français pour l’économie, Le Monde
24-10-2014.
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