Pierre Pestieau
On distingue généralement trois vecteurs de protection sociale : le
marché, la famille et l’Etat. Leur rôle varie au cours du temps et selon les
pays. Il varie aussi selon les risques. Pour la perte d’autonomie, la famille
domine ; pour les retraites c’est l’Etat ou le marché selon les pays. Outre ces
trois vecteurs, il en existerait un quatrième qui a nom charité et qui nous ramène
aux dames patronnesses de Jacques Brel, ces femmes qui naguère s'occupaient des
œuvres sociales et du patronage d'une paroisse. Dans la foulée de Bush aux Etats Unis et de Cameron en Angleterre, est
apparue l’idée que l’Etat pourrait, dans une partie de ses missions, céder la
place aux œuvres caritatives, laïques ou religieuses. Cette idée a été formalisée
en une philosophie politique appelée conservatisme
compassionnel et rassemblant des gens qui croient en la mise en œuvre de
techniques et concepts conservateurs pour améliorer le bien-être général de la société en dehors
de la sphère publique.
Alors que le conservatisme compassionnel a été longtemps une spécialité
anglo-saxonne, il semble envahir progressivement les esprits de la vieille Europe.
On entend régulièrement louer l’efficacité des fondations et des événements caritatifs à remplir des missions que l’Etat
n’est plus capable d’assumer. Ces missions dépassent le champ du social et s’étendent
notamment à la recherche et aux arts. Ces actions frappent les esprits et
font souvent l’objet d’une large couverture médiatique. C’est par définition le
cas du téléthon et autres événements du genre, mais c’est aussi le cas des
interventions de fondations telles que Caritas ou Emmaüs.
Loin de moi l’idée de déprécier ce type d’initiatives
mais de là à penser qu’elles puissent un jour se substituer à la protection
sociale il y a un pas qu’il ne faut surtout pas franchir pour plusieurs
raisons. D’abord, elles sont le plus souvent ciblées sur certains groupes ou événements
particuliers. De ce fait, elles n’ont pas l’universalité et la neutralité que
l’on attend d’une protection sociale digne de ce nom. Ensuite, en volume, elles
ne représentent que très peu en comparaison avec les différents programmes
sociaux de nos Etats providence. Cela n’est pas surprenant. La théorie économique
nous enseigne que si les missions traditionnelles de l’Etat étaient financées
par des contributions volontaires elles le seraient à un niveau ridiculement
bas. C’est une conséquence du phénomène du passager clandestin : dans ce
jeu de contributions volontaires chacun compte sur les autres et pense ainsi
échapper à l’effort qui lui est demandé.
Une troisième raison est que le citoyen dans le besoin ne
demande pas la charité mais une assistance qui lui revient de droit de par son
appartenance à la collectivité.
Ajoutons à ces trois raisons le fait que les donations
charitables bénéficient de fortes réductions fiscales, qui représentent un
manque à gagner pour l’Etat. Ces avantages peuvent se défendre pour des
activités dont l’utilité sociale est évidente, comme par exemple les Restos du
Cœur. Dans de nombreux cas, leur existence ne se justifie pas. On peut
encourager les donations sans que cela ne nécessite la création de niches
fiscales.
Concluons avec un adage d’origine anglaise : Charité bien ordonnée commence par soi même,
qui résume éloquemment le
fait que les principaux bénéficiaires de la charité sont ceux qui la
font : ils en tirent une image positive, ils bénéficient de cadeaux
fiscaux et gardent le plus souvent le contrôle des œuvres auxquelles ils
contribuent.
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