Pierre Pestieau
Il y a au moins quarante ans que l’on se préoccupe de l’avenir des systèmes
de retraite dans la plupart des pays européens et que l’on parle de reformes nécessaires
pour assurer leur pérennité et éviter que les générations à venir doivent payer
pour l’incurie présente. En attendant, le temps passe et les générations
futures deviennent les générations présentes. Il peut être intéressant de
refaire un peu d’histoire des faits et des idées en matière de retraites.
Apres la seconde guerre mondiale, les nations européennes se trouvaient
avec des caisses vides et des personnes âgées sans ressources. Il fut alors décidé
d’instaurer un système de retraite par répartition, entendant par là que les retraites
étaient financées par les cotisations des actifs. C’était la bonne solution
mais elle impliquait une dette sur l’avenir. Il n’y a pas de déjeuner gratuit
(There is no free lunch). Ces premières retraites avaient une série de
caractéristiques qui perdurent encore partiellement aujourd’hui. Elles étaient financées
conjointement par l’employeur et l’employé. Elles étaient à prestations
définies, entendant par là que quelque soit la conjoncture le retraité
s’attendait à recevoir une fraction constante de ses revenus d’activité. Elles
comprenaient un âge cible de départ à la retraite (typiquement 65 ans) qui au
début était au dessus de l’âge moyen auquel on mourrait et qui aujourd’hui est
bien en–deçà. Enfin, les systèmes de retraites étaient publics, ce qui
n’excluait pas que les retraités les plus aisés puissent aussi vivre de leur épargne.
Il est clair que dans la décennie qui a suivi la guerre, la réalité économique
et sociale était très différente que celle que nous connaissons aujourd’hui. On
se préparait à entrer dans le période faste des trente glorieuses et on ne
parlait pas encore de vieillissement. Les problèmes commencèrent avec la fin de
cette période et la première crise pétrolière. Bien que dans la plupart des
pays les systèmes de retraite ne cessaient de progresser, ils entraient dans
leur maturité, et commencèrent à connaître plusieurs difficultés dues à la fois
à la réalité économique et démographique changeante mais aussi à l’apparition
d’une idéologie sans doute plus libérale.
La baisse de l’épargne qui fut particulièrement manifeste aux Etats Unis
emmena plusieurs économistes à souhaiter l’abandon du régime de répartition au bénéfice
d’un régime de capitalisation et à recommander la privatisation en tout cas
partielle des systèmes de retraite. Cette tendance persista longtemps mais
perdit de son acuité pour deux raisons. D’abord on réalisa que la transition de
la répartition à la capitalisation impliquait le sacrifice d’une génération si
elle devait être opérante ; or ce sacrifice n'était pas politiquement
acceptable. Ensuite, les différentes crises boursières refroidirent ceux qui
croyaient en la manne céleste dont la capitalisation devait nous faire
bénéficier.
Même si la critique à l’encontre du principe de répartition s’est
progressivement calmée, l’augmentation du taux de dépendance, à savoir le
rapport entre personnes âgées et personnes actives, et la crise des finances
publiques ont mis les gouvernements en difficulté. C’est ainsi que s’est développé
le secteur des pensions privées dont les caractéristiques sont la
capitalisation, l’absence de redistribution (équité actuarielle) et un modèle à
contributions définies.
Les systèmes publics sont naturellement à prestations définies et même
certaines pensions privées obligatoires, telles que les néerlandaises, ont
cette caractéristique. Cela a pour
implication que tout le poids des risques financiers et démographiques tombe
sur les actifs. Le passage à des systèmes à contributions définies déplace les
risques sur les retraités.
On observe une nette tendance dans cette direction dans les systèmes privés
mais aussi dans les systèmes publics avec l’introduction des comptes notionnels
de retraite et pour conséquence la fragilisation de la condition des retraités.
Il fut un temps où la durée de la retraite pour un travailleur moyen était
minime. Beaucoup mouraient avant d’avoir pu bénéficier de leurs droits. Avec l’allongement
rapide de la vie, cela a beaucoup changé et on a, dans certains pays, des durées
de retraites qui tournent autour de 17 ans. Dans les deux cas ce sont des
moyennes et aujourd’hui encore, certains ne peuvent pas profiter de leur
retraite alors que d’autres ont une retraite plus longue que ne fut leur vie
active.
Une autre évolution récente est la modification du marché du travail avec
une réduction de la fraction des travailleurs qui ont un contrat salarial à
durée indéterminée. Cela pose des problèmes pour les systèmes de retraite qui
initialement s’appuyaient ce type de contrat, et étaient financés par des
cotisations patronales et salariales, gérés paritairement. Avec la croissance
des vrais et faux indépendants et la précarisation du salariat, les systèmes de
retraite s’éloignent de ce modèle que l’on a parfois qualifié de Bismarckien.
A quoi faut-il s’attendre et que faut-il espérer dans ces conditions ?
La part relative du public va s’amenuiser et il est souhaiter qu’elle inclue un
socle de base qui assure un minimum de revenus à tout retraité. L’âge de départ
à la retraite va progressivement augmenter et il est à souhaiter que certaines
professions particulièrement pénibles échappent à cette hausse inéluctable. Les
retraites publiques seront de plus en plus à contributions définies et on peut
espérer que le socle de base dont il vient d’être question protège les
retraités des fluctuations démographiques et économiques. L’avenir est
incertain et il dépendra de deux facteurs : le taux de croissance de nos
économies et la cohésion dont feront preuve nos sociétés.
Une remarque pour terminer. Que de
fois dois-je entendre une phrase du type « Quand on sera en âge de cesser
toute activité, il n’y aura plus de retraite pour nous ». Cette phrase est
irritante parce qu’elle est fausse et qu’elle peut, en outre, contribuer à
démotiver les gens à se battre pour la pérennité du système. Elle vient souvent
de personnes qui proviennent de la classe moyenne supérieure et qui anticipent
qu’une fois retraités, l’essentiel de leurs revenus viendra du secteur privé.
Mais il ne faut pas oublier la fraction de la population qui au moment de la
retraite ne dispose pas de la moindre épargne.
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