Pierre Pestieau
Les journalistes ne sont pas les seuls
à nous offrir des marronniers. Les économistes et les hommes politiques ont
aussi les leurs. Citons la réduction du temps de travail, la Taxe Tobin ou la
bonne vieille allocation universelle. L’Obs
du 5 janvier 2017 consacre deux de ses éditoriaux l’un à l’allocation
universelle et l’autre à la semaine de 20 heures. A plusieurs reprises, j’ai eu
l’occasion dans ces colonnes d’éreinter l’idée du revenu universel. Force est
de constater qu’avec le temps cette idée est devenue de plus en plus confuse,
une vraie auberge espagnole, chacun y trouve ce qu’il veut bien y mettre.
Cette confusion apparaît d’abord dans
la variété des appellations. On parle ainsi de « revenu universel »,
« revenu inconditionnel », « revenu d'existence »,
« revenu de citoyenneté » ou encore « impôt négatif ».
Cette variété d’appellations cache d’ailleurs une variété de réalités portant
sur le montant de cette allocation et les conditions, car il y en a, qui lui
sont attachées.
La première fois que j’ai entendu
parler de cette idée remonte à la campagne présidentielle américaine de 1972
qui vit la victoire du président républicain sortant, Richard Nixon, réélu avec 23,2 points d'avance face à son rival démocrate, le progressiste George McGovern. Ce dernier défendait l’idée d'un impôt négatif sur le
revenu qui consiste à allouer à tout individu un montant fixe. Tout ménage qui
ne gagne pas ce montant reçoit un impôt négatif qui fait la différence. Au-delà
de ce montant on retrouve un impôt positif normal,
progressif. Paradoxalement, cette proposition qui contribua à la défaite
cinglante de McGovern, le dernier candidat démocrate vraiment de gauche, était
défendue par Milton Friedman et James Tobin, l’un monétariste et l’autre
keynésien.
La version la plus populaire et la plus
radicale de l’allocation universelle est l’octroi d’un revenu de base
inconditionnel à tout individu de 18 ans sans aucune condition de statut
familial ou professionnel. L’individu aurait droit à ce revenu d’existence
parce qu’il existe, et non pour exister. C’est de cette version que je voudrais
traiter.
On pourrait se demander pourquoi il en
est tant question maintenant. J’y vois deux raisons : la campagne
présidentielle en France et la difficulté pour les candidats de gauche à
trouver de nouvelles idées. Il y aussi la conjecture selon laquelle le chômage
continuera d’augmenter du fait de la robotisation de notre économie et qu’il
est de fait utile d’assurer à tous un revenu d’existence qui serait financé par
un illusoire impôt sur les robots.
L’idée d’allocation universelle est à
première vue alléchante pour autant qu’elle soir réaliste, c’est à dire
politiquement et financièrement soutenable. On nous rappelle sans arrêt des
expériences tentée et réussies ailleurs, la plus récente et la plus discutée
étant la fameuse expérience finlandaise. Il faut être prudent sur ce point. En
Finlande, l’expérience ne fait que commencer ; elle implique pendant 2 ans
quelque 2000 demandeurs d'emploi de 25 à 58 ans qui toucheront 560 euros par
mois. Cette allocation remplacerait toutes les autres qu'ils percevaient
jusqu'alors, mais leur couverture santé et leur allocation logement seraient
maintenues.
Concrètement, donner, disons, 700 euros
par mois à tous les Français de plus de 18 ans, coûterait plus de 400 milliards
par an, soit un quart du PIB. Certes une partie des dépenses sociales
disparaîtraient mais pas toutes. On ne touchera pas aux dépenses de santé et
d’éducation, ni aux allocations familiales et aux programmes pour handicapés.
En outre dans un pays bismarckien (où les prestations sociales sont liées aux
revenus) comme la France, il faudra compenser ceux qui aujourd’hui touchent des
prestations de retraite ou de chômage bien supérieures à ce revenu de base. On
le voit le coût global de cette mesure serait exorbitant, financièrement
impayable et politiquement insoutenable. Et encore, il est difficile de penser
que quelqu’un d’isolé puisse vivre décemment avec 700 euros. Or notre société
comprend de plus en plus d’isolés qui de ce fait ne peuvent bénéficier des
économies d’échelle du vivre ensemble (on est loin de la proposition suisse,
récemment rejetée par referendum, d’octroyer une allocation d’environ 2500
euros).
Autre difficulté, il convient de s’assurer
que le travail non qualifié demeure rentable. On retrouve ici le risque d’une
trappe au chômage. Dernière difficulté, est-il tellement souhaitable de couper
les citoyens du marché du travail ? La protection sociale actuelle est
fondée sur les relations du citoyen avec le monde du travail et est gérée
paritairement par les partenaires sociaux. Avec l’allocation universelle cette
construction sociale qui remonte aux débuts de la sécurité sociale
s’écroulerait, avec pour conséquence une perte à terme de support politique.
Il me semble qu’au lieu de leurrer nos
concitoyens avec une proposition qui relève de l’utopie, il vaudrait mieux
défendre des réformes qui sont de l’ordre du possible. Par exemple, uniformiser
les minima sociaux, les relever tout en maintenant les tests de ressources qui
les accompagnent. Les individualiser progressivement. Ou encore, adopter une
allocation universelle pour les plus de 65 ans, catégorie d’âge où l’essentiel
des revenus est d’origine publique et qui ne pose pas de problèmes vis-à-vis du
marché du travail.
Mais pourquoi défendre ce qui est
faisable quand on peut promettre l’impossible.
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