Pierre Pestieau
Je dois avouer une faiblesse; je suis accroc des débats politiques télévisés,
débats entre journalistes, experts ou hommes politiques. Récemment, la faculté
m’a assigné à résidence et j’ai eu le loisir d’en regarder jusqu’à saturation. Je
parle surtout des débats qui ont tourné autour des primaires de droite puis de
gauche en France.
A l’occasion de ces débats, je me suis trouvé agacé, irrité, par tous ces futurologues
à la noix qui vous parlent d’une entrée dans l’ère post-industrielle, post-moderne,
robotique, digitale, numérique, etc., d’une révolution qui bouleverserait nos
vies et qui serait la conséquence d’internet. Cette thématique fait dire à nos débateurs
n’importe quoi; ils se prennent soudain pour des devins ou des voyants.
Je commencerai par une anecdote montrant à quel point des gens raisonnables
peuvent perdre la tête dès qu’il s’agit de la révolution numérique. Lors de la
campagne présidentielle américaine qu’il perdit sur le fil Al Gore n’hésita pas
à se présenter comme l’inventeur de l’internet. Deux décennies plus tard, c’est
François Fillon qui s’est laissé aller dans le même fantasme.
Plus sérieusement, certains débateurs n’hésitent pas à nous annoncer une société
dans laquelle l’essentiel de la production serait assurée par des robots forçant
la majorité de la population active à ne pas travailler. En outre, la minorité
encore active pourrait grâce à internet travailler à domicile. Les quelques
travailleurs forcés de se déplacer le feraient dans des voitures sans
chauffeur. Dans cette société qu’on nous annonce pour demain, il faudrait
trouver des ressources pour rémunérer tous ces inactifs. Pas de problème, il
suffit de taxer les robots et naturellement pour collecter l’impôt on ferait
appel à des robots contrôleurs. Avec cet argent, on pourrait financer une
allocation universelle généreuse.
Autre idée entendue, l’économie collaborative devrait à terme ramener une
partie de nos activités d’échange à du troc qui serait généralisé grâce aux
plateformes numériques. On en reviendrait à la société d’il y a plusieurs siècles
où la plupart des échanges se faisaient informellement, en nature, avec pour conséquence
la difficulté de lever un impôt.
Que l’on me comprenne bien, je pense que l’économie numérique est en train
de modifier nos habitudes et nos pratiques. Et il est important d’anticiper les
conséquences de cette évolution pour le bon fonctionnement de notre Etat
providence. Mais il faut se méfier de prédictions qui ont pour implication de désespérer
de l’action publique et de nous ramener à une société dans laquelle le rôle régulateur
de l’Etat disparaîtrait.
Dans une société où notre culture a été influencée par des œuvres comme
Star Trek ou Star War, il n’est pas surprenant que certains pensent que les
problèmes environnementaux seront résolus par le déplacement de populations sur
d’autres planètes ou dans des stations spatiales géantes. De là à prendre une
telle éventualité comme base discussion pour la réforme des politiques
publiques, il y a un pas que l’on ne doit surtout pas franchir.
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