mercredi 13 décembre 2017

Ô Jérusalem

Victor Ginsburgh

Dans une interview donnée le jeudi 7 décembre à la radio belge, Madame Simona Frankel, Ambassad.eur.e.rice d’Israël en Belgique explique très sérieusement que l’annonce du Président Trump « est une reconnaissance de la réalité. Ce n’est pas Donald Trump qui a déclaré Jérusalem comme la capitale du peuple juif, c’est le roi David qui l’a fait il y a 3.000 ans. C’est une reconnaissance d’une histoire qui existe depuis 3.000 ans » (1).

L’ambassad.eur.e.ice est juriste, ce qui ne fait pas d’elle une très bonne historienne. Ni une très bonne juriste d’ailleurs. Il n’est en effet pas du tout certain que le roi David, qui est une figure biblique, a réellement existé. Et même s’il a existé, cette juriste devrait savoir que selon le droit international contemporain, il n’est pas permis à Israël d’annexer Jérusalem Est.  Mais l’ambassad.eur.e.rice se fout du droit comme de l’histoire.


L’histoire du roi David est singulière. Son nom apparaît bien entendu dans la Bible, ce qui l’a rendu très populaire, mais une seule pièce archéologique semble le mentionner : une stèle (dite de Tel Dan) qui date du 9ème siècle avant J.C., alors que David aurait régné au siècle précédent. Cette stèle « raconte la victoire d’un roi araméen sur le roi d’Israël et sur le ‘roi de la maison de David’ » (2). Sinon, rien. C’est étonnant pour un personnage aussi fameux et actif (dans la Bible en tout cas), qui aurait dû laisser bien plus de traces archéologiques, aussi bien en Israël que dans les autres régions du Moyen-Orient et en Egypte avec lesquelles il aurait guerroyé. Rien, nada, nothing, nichts, שום דבר (shum davar), Madame l’Ambassadrice. Je n’ajoute pas le mot en Néerlandais que vous étudiez, mais que vous avouez ne pas encore parler couramment.
 

Le roi David n’est pas plus historique que le séjour des Juifs en Egypte, l’Exode, le retrait de la Mer Rouge pour les laisser passer, ni des 40 ans d’errements dans le désert, ni même le roi Salomon, pas plus, hélas, que la bien belle Tour de Babel (de Brueghel). Evidemment, les académiques se contredisent. Pour ceux de Jérusalem, la Bible raconte la vérité historique, tandis qu’à Tel Aviv, on pense plutôt que la Cité de David, située au sud du Mont du Temple à Jérusalem, n’a de David que le nom, et encore : l’interprétation de l’inscription ביתדוד (maison de DOD ou de DVD) sur la stèle de Tel Dan qui pourrait signifier ‘maison de David’ est mise en doute par certains archéologues et spécialistes de l’araméen. Lisez donc l’ouvrage écrit par l’archéologue Israël Finkelstein et l’historien et archéologue Neil Silberman (3) et plus particulièrement les pages 261-274, intitulées « David a-t-il existé », dont une des sections se demande s’il s’agit « d’une absence d’évidence ou de l’évidence d’une absence ». Et conclut que « si l’on analyse la Jérusalem de cette époque d’un point de vue archéologique, elle n’était très probablement pas plus qu’une petite colline pauvre, non fortifiée d’environ 1,5 Km carrés ».

Ne versez pas, Madame l’Ambassadeur.e.rice, dans la confusion entre récit biblique et réalité historique, ni dans les fausses vérités et les vrais mensonges de celui qui habite la Maison Blanche et qui pourrait déplacer son ambassade à Jérusalem. En bonne compagnie d’ailleurs, puisque le délicieux et subtil Président des Philippines, Rodrigo Duterte qui, après six mois de pouvoir, avait déjà sur les mains le sang de quelques milliers de victimes, se propose de le suivre. Quel bel exemple.

[Une version légèrement différente du texte a paru dans La Libre le 13 décembre 2017].


(1) Le factchecking de VEWS: Jérusalem, ‘capitale historique’ d’Israël ?, RTBF. be, 7 décembre 2017.
(2) Julia Fridman, The naked truth about King David, Haaretz, February 20, 2014 https://www.haaretz.com/jewish/archaeology/.premium-1.575418

(3) Israël Finkelstein et Neil Silberman (2002, David and Salomon. In search of the Bible's Sacred Kings and the Roots of Western Tradition, New York: The Free Press, 2006.

1 commentaire:

  1. La fable de Jérusalem capitale d'Israël depuis 3000 ans est une fable tout comme celle des 40 pucelles accueillant le valeureux djihadiste à son arrivée au paradis. Les arguments rationnels ne peuvent démonter de telles croyances. D'autant que ces croyances sont bien utiles pour nier la réalité. Madame l'Ambassadrice ne va pas changer d'avis demain.

    L'autre fable dont on comprend moins l'emprise sur les esprits aiguisés et fins de Valls, Hollande, Macron et tant d'autres, intellectuels, commerçants, hommes d'affaire, politiques est qu'il pourrait exister un processus de paix conduisant à la reconnaissance de deux états. Il suffit de regarder une carte du Grand Isarël pour voir que la bande de Gaza, surpeuplée, sans ressources et sans lien direct avec la Cisjordanie, et de l'autre côté, la Cisjordanie semblable à une antique pièce de bois rongée jusqu'à l'âme par les termites, avec un peu partout de magnifiques champignons blancs que sont les colonies, il suffit donc de regarder cette carte pour voir que la version 2 états est une fable. Fable bien commode pour refuser l'évidence : il n'y a d'autre solution que l'annexion ou l'occupation. Aux Israéliens de gérer un état avec une moitié de la population sous son contrôle qui par les artifices du langage ne peuvent être citoyens de ce pays. Non-juifs, ces autochtones ne peuvent pas être citoyens de plein droit d'un état-juif.

    Pourquoi Macron se refuse-t-il à parler bon sens, et alerter le gouvernement « ami » que la fable conduira à moyen et long terme à l'insécurité et à la violence, voire la guerre ? Pourtant, il n'y a pas que des exaltés obtus dans ces régions. Il y a aussi des cyniques, qui seront toujours prêts à tourner casaque s'ils y voient avantage. Il faut éclairer ces cyniques qui à défaut de morale, peuvent être réalistes et avoir du bon sens.

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