mercredi 24 janvier 2018

Richard Thaler et les options par défaut

Pierre Pestieau

Qu’il s’agisse de la retraite, de la santé ou de l’éducation, ni les français ni les belges ne doivent opérer des choix aussi cruciaux que les américains par exemple. Ces derniers doivent tout au long de leur vie faire des choix importants que ce soit sur le portefeuille d’investissement qui déterminera le montant de leurs retraites, les assurances santé qui les couvriront plus ou moins complètement ou encore les universités où ils enverront leurs enfants et dont le coût peut varier de 1 à 10. Jusqu’à présent, ces choix n’avaient pas lieu d’être dans nos bons Etats providence. L’Etat y pourvoyait et si ce n’était pas l’Etat c’était la tradition.


Il n’est dès lors pas étonnant que certains sujets de recherches aient plus d’écho dans les pays anglo-saxons que dans des pays où de nombreuses décisions ne relèvent pas de la responsabilité individuelle. Un exemple qui me touche particulièrement est celui de l’âge de la retraite. Notre seule liberté en Belgique ou en France est au mieux de partir à la retraite anticipativement. Et encore la plupart des citoyens n’ont pas cette liberté et doivent partir à la retraite quand leur employeur le décide. Tout au long de sa vie, l’américain doit procéder à de délicats arbitrages. Il peut, par exemple, trouver optimal de partir à la retraite sans pour autant toucher une pension immédiatement, ce qui lui permet d’en augmenter le montant.


Ceci explique pourquoi la recherche sur l’alphabétisation financière ou les choix par défaut se sont développés dans les pays anglo-saxons sans peu d’écho chez nous pendant longtemps. L’idée centrale de cette démarche est que les individus font souvent des choix par manque d’information mais surtout par irrationalité, ce qui entraîne souvent des comportements où la recherche de gratification immédiate l’emporte sur celle du bien-être à long terme. Pour essayer de pallier ces comportements, les économistes recommandent d’assurer une meilleure formation financière et d’influencer les individus en leur proposant notamment un choix par défaut qui leur soit le plus souvent favorable.
C’est dans ce contexte que l’on trouve la théorie du Nudging (ou Théorie du Paternalisme Libéral) qui a valu à Richard Thaler son récent prix Nobel. Le nudging (littéralement coup de pouce) est un concept des sciences du comportement selon lequel des suggestions indirectes peuvent, sans contrainte,  influencer les motivations, les incitations et la prise de décision des groupes et des individus, au moins de manière aussi efficace sinon plus efficace que des mesures plus directives.

La manifestation la plus concrete du nudging se retrouve dans les mutiples options par défaut. Typiquement je me souviens avoir reservé un vol sur Ryanair et par paresse ou impatience avoir coché l’option par défaut, ce qui à ma grande surprise impliquait une assurance annulation et la possibilité d’un bagage en soute dont je n’avais nul besoin. L’option par défaut est en effet la solution choisie automatiquement par un programme en l’absence d’une indication contraire explicite de la part de l’utilisateur. C’est aussi le choix des gens pressés, distrait, ignorants, insouciants, bref de la plupart d’entre nous. Dans le domaine de la restauration, le menu du jour par opposition à un repas à la carte constitue une option par défaut : rapide, prix raisonnable.


Quand une société d’assurance ou un institution financière détermine les options par défaut, elle aura le plus souvent comme premier objectif la maximisation de son propre profit et pas nécessairement le bien-être de sa clientèle. C’est là que l’Etat peut intervenir en suggérant des options par défaut qui correspondent au bien-être des individus les plus fragiles et les moins « rationnels ». C’est cette question qu’ont étudiée Richard Thaler et ses nombreux coauteurs au cours des dernières décennies.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire