mercredi 24 janvier 2018

L’histoire d’une gifle à Nabi Saleh, village en Palestine occupée

Victor Ginsburgh

Pourra-t-on, en lisant ce qui suit, s’étonner qu’un article écrit par l’historien israélien Zeev Sternhell et publié dans Haaretz s’intitule « En Israël, croissance du fascisme et un racisme qui rappelle le nazisme à ses débuts » ? (*)

Mustafa Tamimi
Le village de Nabi Saleh dans lequel habite la famille Tamimi est situé près d’une colonie israélienne. Il a fait l’objet de 70 à 80 incursions de nuit comme de jour par l’armée israélienne durant les trois mois qui viennent de s’écouler. Et même avant.

En effet, Mustafa Tamimi, 28 ans, est mort à l’hôpital le 9 décembre 2011. Un soldat israélien lui avait tiré une bombe lacrymogène dans la figure (voir photographie).



Mohammed Tamimi
Voici une photographie de Mohammed Tamimi, 15 ans. Le 19 décembre 2017, il s’était hissé sur la crête d’un mur pour observer des soldats israéliens retranchés dans une maison désertée par son propriétaire palestinien. Ces soldats, qui se trouvaient à quelques mètres de lui, ont visé (et atteint) sa tête. Une seule balle, caoutchoutée. Il a survécu, mais les chirurgiens ont été forcés de lui enlever certains os crâniens, qui seront remplacés d’ici quelques mois. Il faut reconnaître que Mohammed est un activiste qui avait déjà été arrêté en avril 2017, interrogé et emprisonné pendant trois mois, pour avoir jeté des pierres sur les soldats lors d’un esclandre précédent.

Ahed Tamimi
Préparation de la gifle
Et voici deux photographies d’Ahed Tamimi, 16 ans cousine de Mustafa et de Mohammed, qui a essayé d’empêcher deux soldats israéliens d’entrer dans son jardin situé à une douzaine de mètres de celui de Mohammed, après qu’il ait été blessé. L’une des photographies a été prise alors qu’Ahed donnait une gifle à un des deux soldats qui se trouvaient sur les lieux. Les deux soldats se sont retournés et sont partis sans réagir.

Mais l’armée n’a pas pu laisser un tel acte impuni. Dans la nuit qui a suivi, Ahed et sa mère ont été arrêtées dans leur maison, et emprisonnées. Ahed est accusée de cinq chefs : menaces (sans armes) faites à un soldat (armé), agression aggravée contre un soldat, interférences avec un soldat qui faisait son devoir, incitation, et lancement de pierres sur des soldats. 

Voici une partie de la lettre, publiée dans Haaretz, que Bassem Tamimi, le père d’Ahed, lui a écrite :

« Je suis fier de ma fille. Elle est une combattante de la liberté, qui d’ici quelques années, pourra mener la résistance à la domination israélienne. En dépit du fait qu’il s’agit de sa première arrestation, elle connaît bien vos prisons pour avoir vécu mes propres emprisonnements durant son enfance, les arrestations répétées de sa mère, de son frère et de ses amis. Son arrestation était une question de temps. Au cours d’un documentaire filmé en Afrique du Sud à propos de la vie dans notre village, et devant les larmes de ceux qui assistaient au tournage, elle a dit : « Je ne veux pas être perçue comme une victime… Nous ne voulons pas que vous nous supportiez à cause de nos larmes, même si elles peuvent être photogéniques, mais parce que nous avons choisi de nous battre, et notre guerre est juste. C’est la seule manière de nous arracher à de nouvelles larmes dans le futur ».
Et c’est pourquoi elle a giflé un soldat israélien. Et aussi pourquoi Naftali Benett, Ministre israélien de l’Education, a immédiatement réagi par un « Elle doit finir sa vie en prison ». Un juge israélien a décidé de ne pas relâcher Ahed Tamimi ni sa mère, qui resteront en prison tant que le procès qui suivra ne sera pas terminé. Cette décision a été approuvée par Asa Kasher, Professeur d’éthique et de philosophie à l’Université de Tel Aviv. Asa Kasher, auteur du code de conduite des militaires israéliens, estime qu’« Ahed est dangereuse dans la mesure où elle pourrait gifler un ou plusieurs autres officiers de l’armée. Dangereux ne signifie pas qu’elle pourrait attenter à la vie de quelqu’un. Cela signifie enfreindre la loi en ne permettant pas à ceux qui en sont chargés, de remplir leur mission ». Ça c’est de l’éthique…

Mais que par contre, si c’est une habitante d’une colonie israélienne qui gifle un soldat israélien essayant de l’empêcher de jeter des pierres, elle est simplement interrogée, mais peut rentrer chez elle le jour même. En dépit du fait qu’elle avait déjà été arrêtée cinq fois pour jets de pierres, agression de policier, et trouble à l’ordre public, elle n’a jamais été emprisonnée (**).

D’après un rapport de l’association Yesh Din des volontaires pour les Droits Humains, entre 2004 et 2017, un petit 8.1 pourcent des plaintes palestiniennes dont ils se sont occupés a fait l’objet de poursuites ; le reste est passé dans les poubelles de la justice (***).


(*) Zeev Sternhell, In Israel, growing fascism and a racism akin to early Nazism, Haaretz, January 19, 2018.

(**) Noa Osterreicher, What happened when a Jewish settler slapped an Israeli soldier, Haaretz, January 5, 2018.

(***) Yesh Din Volunteers for Human Rights, Law enforcement on Israeli civilians in the West Bank. Monitoring Update 2005-2017, December 2017, https://s3-eu-west-1.amazonaws.com/files.yesh-din.org/December+2017+Law+Enforcement+Datasheet/LAW+ENFORCEMENT+Data+12.17+-+ENGLISH.pdf


Les « aventures » de la famille Tamimi sont relatées dans la presse israélienne depuis le 20 décembre 2017. Voici, dans l’ordre chronologique de parution, quelques-uns des articles que j’ai consultés pour écrire ce texte :

Omar Rahman, Nabi Saleh protester hit by tear gas canister dies from wounds, 972mag, December 19, 2011 https://972mag.com/nabi-saleh-palestinian-shot-in-head-with-tear-gas-canister/29317/

Gideon Levy, A girl’s chutzpah, Haaretz, December 20, 2017.

Jack Khoury and Yaniv Kubovich, Israeli army arrests Palestinian teenage girl who slapped soldiers : ‘She should finish her life in prison, Haaretz, December 20, 2017.

Yotam Berger, Israeli extends 16-year-old Palestinain girls’ detention because she could ‘pose a danger’, Haaretz, December 26, 2017.

Bassem Tamimi, My daughter, these are tears of struggle, Haaretz, December 29, 2017.

Marilyn Garson, American Jews: Ahed Tamimi is your issue, too, Haaretz, December 31, 2017.

Yotam Berger and Yaniv Kubovich, Ahed Tamimi, Palestinian teen who slapped Israeli soldier in video, charged with assault, Haaretz, January 1, 2018.


Gideon Levy and Alex Levac, The story behind Ahed Tamimi’s slap : Her cousin’ head shatterd by Israeli soldier’s bullet, Haaretz, January 5, 2018.

Gideon Levy, ‘I’m not sorry’ : Nur Tamimi explains why she slapped an Israeli soldier, Haaretz, January 12, 2018.

Ofir, Jonathan, Ahed Tamimi should stay in prison because she might slap again, Mondoweiss, January 15, 2018. http://mondoweiss.net/2018/01/because-israeli-ethicist/

Berger, Yotam, Israel will not release Palestinian teen who slapped soldier until trial’s end, Haaretz, January 17, 2018.

Yonah Jeremy Bob,  IDF Court : Ahed Tamimi to be jailed until end of trial, The Jerusalem Post, January 17, 2018.


Haaretz Editorial, Hysteria in military court, Haartez, January 19, 2018.

1 commentaire:

  1. Marc Hallin (ULB)26 janvier 2018 à 13:25

    Cette éthique là, bien Kasher, nous la connaissons bien: c'est celle de Theo Francken et Jan Jambon, approuvée par Charles Michel et, apparemment, par un large pan de l'opinion publique de notre beau pays.

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