Pierre Pestieau
La gauche est en crise, c’est un lieu commun (1). Son
échec tient à un simple constat : elle n’a pas été capable ces derniers temps
d’apporter une réponse convaincante aux menaces qui pèsent sur une population
qui longtemps avait compté sur elle. Que ces menaces soient réelles ou non
n’importe pas. Cette réponse trop attendue ne pourra être que complexe dans la
mesure où ces menaces sont multiples. Elle sera difficile dans la mesure où
elle se heurte à des contraintes qui sont nouvelles par rapport à ce qui se
passait il y a plusieurs décennies.
Deux contraintes semblent dominer. Il y a d’abord le fait
que l’espace économique est beaucoup plus large que l’espace politique. En d’autres
termes, à l’échelon national qui est celui du pouvoir politique, beaucoup de
décisions d’ordre économique ne peuvent pas être prises. C’est la résultante d’un
capitalisme mondialisé. Ensuite, il y a l’émergence à tous les niveaux d’un
individualisme forcené qui empêche toute solution coopérative. Cela se traduit
notamment par le fameux Nimby qui signifie « pas dans mon arrière-cour »
et qui peut aussi être utilisé dans un sens figuré pour décrire les personnes
qui prônent une certaine proposition (par exemple des mesures d’austérité
budgétaire, des augmentations d’impôts, des réductions d’effectifs), mais s’opposent
à son application dès lors que cela exigerait un sacrifice de leur part.
La plupart des propositions qu’on peut lire ça et là et
qui relèvent du « y’a qu’à » ignorent ces contraintes. En d’autres
termes, si les espaces politiques et économiques coïncidaient et si les
individus et les gouvernements acceptaient de fonctionner en coopérant, les
problèmes de la gauche seraient simplifiés, sans être résolus pour autant.
Mais d’abord, quels sont les problèmes qui se posent non
seulement à la gauche mais à l’ensemble de la société ? J’en distinguerais
quatre. Il y a d’abord les questions liées à l’environnement ; il y a
ensuite toutes les angoisses créées par le développement de la robotisation et de l’intelligence
artificielle ; il y aussi tout ce qui touche aux disparités de richesse
nationales et internationales avec leurs conséquences qui sont les migrations
et les guerres civiles ; enfin il y a cette crainte que le processus actuel
d’endettement au détriment des générations futures ne s’emballe et à terme
conduise à la faillite de nos Etats providence.
Dans cette liste, je ne reprends pas les questions
sociétales qui ont vu ces derniers temps la gauche se mobiliser
efficacement : lutte contre l’homophobie et le sexisme, contre les
discriminations et la xénophobie. Ces questions sont importantes, mais elles ne
paraissent pas prioritaires pour cette minorité de personnes qui se sentent
délaissées et qui sont tentée par les discours populistes. On peut reprocher à
la gauche d’avoir privilégie ces questions au détriment des objectifs qui
correspondent davantage à son ADN : la lutte contre l’exclusion sociale,
les disparités de revenus et de richesse, la recherche du plein emploi dans le
cadre d’un développement durable. C’est à la manière dont la gauche s’approche
de ces objectifs que son bilan peut être évalué.
Pour chacun de quatre problèmes cités ci-dessus, on est
confronté à une démarche en trois étapes. D’abord, s’assurer de la réalité des
faits ; ensuite, étudier les mesures à prendre et enfin analyser la
faisabilité politique de ces mesures. Je prendrai un exemple, celui de la lutte
contre les inégalités de richesse. Dans un premier temps, il s’agira de
vérifier si ces inégalités sont fortes et croissantes et si elles doivent être
résorbées autant que faire se peut. On peut en effet défendre l’idée que la
lutte contre ces inégalités n’est pas prioritaire et qu’il vaut mieux mettre
l’accent sur les inégalités de consommation, d’accès aux soins de santé, à une
éducation de qualité et à un logement décent. Si on estime qu’il faut lutter
contre ces inégalités de richesse, on passe à la seconde étape, à savoir
étudier les moyens d’y parvenir : modifier la législation sur la
propriété, réformer la fiscalité du capital et actualiser les règles et les
droits de succession. Vient la troisième étape, sans aucun doute la plus
délicate, celle de leur mise en œuvre. On sait par expérience que la taxation
du capital et les droits de succession se heurtent à deux obstacles. Ces impôts
ne sont pas populaires et font l’objet d’une intense ingénierie fiscale et
patrimoniale.
Dans mes prochains blogs, je compte analyser les quatre
types de problèmes majeurs auxquels il faut s’attaquer. Je les traiterai
séparément mais il apparaîtra évidemment qu’ils s’entremêlent. Se centrer
exclusivement sur l’urgence écologique et négliger les fractures sociales ou
les conséquences de la digitalisation sur le marché du travail serait une
lourde erreur. Se focaliser sur les fractures sociales en négligeant
l’endettement généralisé de nos économies n’aurait guère de sens. Le plus gros
endettement que nos sociétés contractent au détriment des générations futures
n’est sans doute pas financier mais environnemental. A cet égard il est
intéressant que chaque année, on « fête » deux dates butoir, qui
se situent au-delà du 31 juin. Il y a d’abord le jour où nous
sommes supposés avoir consommé l’ensemble des ressources que la terre est capable de régénérer en un an. Passée cette date,
l’humanité puiserait donc de manière irréversible dans les réserves non renouvelables. Il a y aussi le jour à partir duquel on cesse
d'employer son salaire pour payer ses impôts.
(1) Il existe de
nombreux articles et ouvrages consacres à ce sujet. Voir notamment Pierre Rosanvallon (2018), Notre
histoire intellectuelle et politique. 1968-2018, Paris : Seuil.
Très beau programme, j'adhère ! Cela dit Pierre, si tu écris "seconde étape", il ne devrait pas y avoir de troisième étape :)
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