Pierre Pestieau
Le domaine de prédilection de la
gauche, celui qui de tous temps la distingue de la droite, est la lutte contre
la pauvreté, l’exclusion et les inégalités. Dans les programmes des partis de
gauche, ce domaine occupe une place importante. Qu’en est-il dans la
réalité ?
Le bilan de la gauche au pouvoir est
mitigé. Elle a certes maintenu la pression pour que les acquis sociaux soient
préservés mais elle a failli à sa tâche de plusieurs façons. D’abord, dans un
souci de se montrer financièrement responsable et fiscalement pragmatique, elle
a accepté certaines réductions de programmes sociaux et favorisé la création de
niches fiscales souvent favorable à des groupes d’intérêts particuliers, particulièrement
les détenteurs de capitaux. Ensuite, elle s’est montée faible dans la lutte
contre la fraude et l’évasion fiscales. Enfin, elle s’est montrée réticente ou
timorée devant la nécessité de reformer la fiscalité et d’adapter la protection
sociale à des besoins nouveaux.
Les politiques ont leur importance,
mais ce sont les faits qui priment. Que peut-on dire de la réalité des
inégalités et de la pauvreté ? Depuis quelques temps, les journaux ont
tendance à publier à leur une des titres accrocheurs portant sur la montée des
inégalités et sur l’augmentation de la pauvreté en Belgique et en France. Il
est intéressant de voir ce qu’il en est vraiment tout en gardant à l’esprit la
difficulté de mesurer correctement ces deux phénomènes. Force est de constater
que tant les taux de pauvreté que les indices d’inégalité sont restés
relativement stables au cours des deux dernières décennies.
Comment
réconcilier ces évolutions avec la perception que d’aucuns ont qu’au contraire
la pauvreté et les inégalités n’ont pas cessé de croître ? Plusieurs
explications sont possibles :
·
Les données disponibles ne couvrent pas les dernières années qui auraient
vu la montée de la précarité.
·
Le revenu monétaire ne couvre qu’un aspect de la qualité de vie.
·
Les produits consommés par les bas revenus ont vu leurs prix augmenter
plus rapidement que l’inflation : le chauffage, la nourriture, le
logement,…
·
Certaines catégories, les jeunes, les retraités, les familles
monoparentales,…ont pu voir leurs revenus baisser, ce qui n’apparaît pas dans
des indicateurs nationaux.
Mais le
malaise est ailleurs. Il semblerait que si les Etats providence européens ont réussi
à limiter les inégalités de revenus et la pauvreté, ils ont échoué à assurer à
chacun une perspective de mieux être. En d’autres termes, ils n’ont pas réussi à
empêcher que l’ascenseur social tombe en panne.
Une étude récente de l’OCDE (1)
consacrée à ce sujet montre que, compte tenu des niveaux actuels
d'inégalité et de mobilité intergénérationnelle sur l'échelle des revenus, au
moins cinq générations (ou 150 ans) pourraient être nécessaires dans les pays
de l'OCDE, pour que les enfants de familles modestes parviennent à se hisser au
niveau du revenu moyen. Dans les pays nordiques, cela pourrait prendre deux à
trois générations seulement, tandis que dans certaines économies émergentes, ce
processus pourrait se dérouler sur neuf générations ou plus. En Belgique, il
faudra 4 générations et en France 6 pour atteindre ce niveau moyen (2).
L’étude de
l’OCDE indique aussi que cette mobilité sociale a fortement diminué au cours
des dernières décennies. Pour un grand nombre de personnes nées de parents peu
qualifiés entre 1955 et 1975, la mobilité sur l’échelle des revenus était une
réalité ; pour celles qui sont nées après 1975, elle s’est considérablement
restreinte.
Cela ne veut pas dire qu’il faut jeter aux oubliettes
les outils classiques de l’Etat providence que sont la politique sociale,
l’assurance maladie et l’assurance chômage, les régimes de retraite et
d’invalidité. Cela veut dire aussi qu’il faut attacher plus d’attention à
relancer l’ascenseur social pour assurer davantage d’égalité des chances. Dans
mon prochain blog, je reviendrai sur cette question.
(2). La mobilité
sociale est calculée à partir des corrélations entre les revenus du père et
celui de l’enfant.
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