Victor
Ginsburgh
Etude pour piano et lingette nettoyante |
« Comme
d’habitude ! C’est-à-dire que le nouveau sérum envoyé par Paris avait l’air d’être
moins efficace que le premier et les statistiques montaient. On n’avait
toujours pas la possibilité d’inoculer les sérums préventifs ailleurs que dans
les familles déjà atteintes. Il en eût fallu des quantités industrielles pour
en généraliser l’emploi. La plupart des bubons se refusaient à percer, comme si
la saison de leur durcissement était venue, et ils torturaient les malades.
Depuis la veille, il y avait dans la ville deux cas d’une nouvelle forme de
l’épidémie. La peste devenait alors pulmonaire. Le jour même, au cours d’une
réunion, les médecins harassés, devant un préfet désorienté, avaient demandé et
obtenu de nouvelles mesures pour éviter la contagion qui se faisait de bouche à
bouche, dans la peste pulmonaire. Comme d’habitude, on ne savait toujours
rien ».
Ceci
vient de la page 99 de mon vieux La Peste
de Camus. Un vrai ‘Livre de Poche’, il n’en existait d’ailleurs qu’un seul de
ce nom. Acheté en 1962, il tient encore le coup. Comme les autres choses qui n’ont
pas tellement changé en 58 ans.
Et
page 247, les derniers paragraphes du livre :
« Du
port obscur montèrent les premières fusées des réjouissances officielles. La
ville le salua par une longue et sourde exclamation… Mais il [l’écrivain]
savait que cette chronique ne pouvait pas être celle de la victoire définitive…
Ecoutant, en effet, les cris d’allégresse qui montaient de la ville, [il] se
souvenait que cette allégresse était toujours menacée. Car il savait ce que
cette foule en joie ignorait, et qu’on peut lire dans les livres, que le
bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais ».
Et
chaque fois qu’il revient, nous sommes étonnés, mais nous savons ce qu’il faut
faire : vider les rayons des supermarchés, pour se faire la même bouffe et
les mêmes repas qu’avant la peste.
Mais
que faut-il penser des régions dans lesquelles les rayons des supermarchés sont
déjà vides, comme au Moyen-Orient où les guerres continuent et où même les murs
n’arrêtent pas le virus. Le 10 mars, il y avait déjà 26 cas à Bethlehem. Mazin
Qumsieh, un professeur palestinien qui y vit et dont je reçois les courriers
hebdomadaires écrivait : « Même si le nombre de cas y est bien
moindre qu’en Israël, les restrictions ont augmenté dans nos ghettos. Les
Palestiniens qui y vivent sont bloqués, alors que les colons, qui habitent les
lieux, sont libres de se promener où ils veulent… La Grèce et la Turquie jouent au football avec les réfugiés syriens et le génocide arabe
se poursuit au Yémen, et je tremble à l’idée de ce qui arrivera lorsque le
virus aura atteint des contrées aussi dévastées que le sont la Syrie, le Yemen
et la Libye. »
Le 14
mars, 1 400 habitants de Gaza, dont on pense qu’ils pourraient être infectés,
sont mis en quarantaine, mais Gaza manque de lits d’hôpital. Les autorités
israéliennes n’ont pas discuté la possibilité de prendre les malades des
territoires occupés et de Gaza, « en partie par peur de ne pas avoir de la
place dans les hôpitaux israéliens si la crise s’aggravait » (1).
Le
chaos règne dans les prisons iraniennes, et les prisonniers qui ont des peines
de moins de cinq ans sont relâchés, pour faire de la place aux malades en
quarantaine (2).
Et
lorsque le premier cas de coronavirus a été annoncé à Kinshasa, République Démocratique
du Congo, les détails transmis par le Ministère de la Santé étaient erronés. De
toute façon, les médecins refusent de travailler, parce qu’ils ont peur (3), ça
promet !
(1). Hagar Shezaf, As Israel
prepares for coronavirus in the Palestinian territories and Gaza, raises
dilemmas, March 14, 2020.
(2). Patrick Wintour,
British-Iranian prisoner tells of coronavirus chaos in Iranian jail, The Guardian, 12 March 2020.
(3). Stanis Bujakera, Congo health
authorities stumble with first coronavirus case confusion, Reuters, March 14, 2020.
Pas drôle comme perspectives. Bien réelles ! Reste à lire le Décameron ou, à défaut, l'Amour au temps du choléra.
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RépondreSupprimer"La peste de Camus"un bon lvre de ma jeunesse intellectuelle. Jamais je n'aurais pensé vivre cela via le corona virus.
RépondreSupprimerBonjour Victor,
RépondreSupprimerMalgré mon positivisme et mon optimisme légendaire, je suis inquiet ... mais je me soigne