jeudi 27 juin 2024

La Révélation Divine du Vatican (suite)

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Victor Ginsburgh et Pierre Pestieau

Notre blog de la semaine dernière, La Révélation Divine du Vatican, a surpris plusieurs d’entre vous. En réalité, il a été écrit par le fameux logiciel ChatGPT auquel nous avons posé la question : « Que se passerait-il si un cardinal transgenre venait à être élu pape ? » Nous espérons que certains d’entre vous au moins, nous auront presque cru. 

Ce blog gag nous amène à réfléchir à une question qui nous tient à cœur, à savoir comment réagir si l’Intelligence Artificielle (AI) réussit à nous tromper en créant des œuvre d’art (ou de science) qui semblent venir d’une personne réelle. Aujourd’hui déjà, on sait que certains romans et articles de journaux sont créés par l’AI sans toujours le signaler. Imaginons l’embarras d’un critique ou d’un amateur d’art qui s’extasie devant un tableau, un roman, un poème et découvre que cette œuvre a pour auteur l’AI. A ce propos, quel est le genre de l’AI ? Nous lui avons posé la question et voici sa réponse :

« ChatGPT n'a pas de sexe. Il s'agit d'un modèle linguistique d'intelligence artificielle créé par OpenAI, conçu pour aider les utilisateurs, indépendamment de leur sexe, de leur âge ou d'autres attributs personnels. Il ne possède pas de caractéristiques personnelles ni d'identité ; il fournit simplement des réponses basées sur les données qu'il reçoit. »


Plus sérieusement et de façon plus dangereuse, l’AI fait des ravages dans le monde de l’édition. Au Japon plus qu’ailleurs. Plusieurs écrivains avouent s’être aidés de l’AI pour écrire leurs ouvrages tout en ajoutant qu’ils gardent la maîtrise du processus de production littéraire. Vive les “vrais” auteurs. Nous devrons nous remettre aux grands (mais vieux) auteurs, tels que Balzac, Hugo, Shakespeare, sans doute Sartre, Cocteau, Jules César et bien d’autres, s’il le fallait, mais nous connaissons bien leurs noms et les avons lus en partie. A propos, une idée : pourquoi ne prendrions-nous pas deux ou trois vers de Shakespeare que nous pouvons envoyer à ChatGPT, pour voir ce que cela peut donner ?

Il y a pire. La science est aussi attaquée, mais d’une façon peut être plus grave, parce que ce ne sont pas uniquement des chaînes de mots qui peuvent être belles ou odieuses. Le roman est un roman, mais la science ne devrait pas être un roman. Voici un exemple de ce qui pourrait se multiplier : Un article à propos « d’une équipe d’enquêteurs scientifiques vient de mettre à jour une fraude dans le milieu de la publication scientifique. Plus un article est cité dans d’autres articles, plus le premier a de la valeur. C’est donc l’un des indicateurs pris en compte au moment de financer tel ou tel projet. Certains éditeurs peu scrupuleux ont donc mis au point le système des “références furtives” qui permet de booster (1) artificiellement l’impact d’une publication. (2).


Voici ce qu’on lit dans un article récent (3) : « La recherche est fondée sur un échange permanent, tout d’abord et avant tout pour comprendre les travaux des autres et ensuite, pour faire connaître ses propres résultats. La lecture et l’écriture d’articles publiés dans des revues ou des conférences scientifiques sont donc au cœur de l’activité des chercheurs. Quand on écrit un article, il est fondamental de citer les travaux de ses pairs que ce soit pour décrire un contexte, détailler ses propres sources d’inspiration ou encore expliquer les différences d’approches et de résultats. Être cité par d’autres chercheurs, quand c’est pour de bonnes raisons, est donc une des mesures de l’importance de ses propres résultats. Mais que se passe-t-il lorsque ce système de citations est manipulé ? Notre récente étude révèle une méthode insidieuse pour gonfler artificiellement les comptes de citations : les « références furtives ».

Les auteurs scientifiques se doivent de mentionner dans le texte de leur article, le titre de l’article cité, et d’autres indicateurs tels que le nom des auteurs, l’année de publication, le nom de la revue, les pages dans ladite revue. Ces informations apparaissent dans la bibliographe de l’article et sont enregistrées sous forme de “bibliographie”, un identifiant unique pour chaque publication scientifique.

On le voit l’IA est comme la langue d’Ésope : la meilleure et la pire des choses.



(1). Comme s’il n’y avait pas de mot que “booster.” “Amplifier” ou “augmenter” ne sont plus des mots français et ont manifestement disparu de notre vocabulaire. 
(2). Benoît Tonson, The conversation, 17 juin 2024. https://theconversationfrance.cmail20.com/t/r-e-tdsdtht-ntutjijikt-r/

jeudi 20 juin 2024

La Révélation Divine du Vatican

4 commentaires:
Nous avons reçu d’un de nos lecteurs assidus un récit que nous tenons à partager avec vous.

Victor et Pierre


Au cœur de la Cité du Vatican, des murmures d'un événement sans précédent circulaient parmi le clergé. Le conclave, l'assemblée sacrée des cardinaux chargée d'élire un nouveau pape, était en session. Cette fois, le monde entier retenait son souffle, non seulement pour l'élection d'un nouveau pontife, mais aussi pour la possibilité d'un choix révolutionnaire.

Parmi les cardinaux se trouvait le Cardinal Alessandro Ricci, connu non seulement pour ses profondes connaissances théologiques, mais aussi pour un parcours personnel qui avait capturé les cœurs de nombreux fidèles. Né Alessandra, la transition de Ricci de femme à homme avait fait l'objet de conversations discrètes au sein de l'Église pendant des années. Malgré les controverses, la foi inébranlable de Ricci, sa prouesse intellectuelle et sa nature compatissante lui avaient valu le respect et l'admiration de ses pairs et des paroissiens.


La Chapelle Sixtine, ornée des chefs-d'œuvre de Michel-Ange, devint le lieu sacré où la décision serait prise. L'air était lourd d'encens et d'anticipation alors que les cardinaux prenaient place, chacun portant le poids des traditions séculaires et du besoin pressant de pertinence moderne. Alors que les bulletins étaient dépouillés et comptés, il devint clair qu'aucun candidat n'avait une majorité écrasante. Les jours se transformèrent en semaines, et toujours, la guidance du Saint-Esprit semblait insaisissable. C'est alors que le Cardinal Matteo, une figure respectée avec une réputation de pensée progressiste, se leva pour parler.

"Frères," commença le Cardinal Matteo, sa voix ferme mais remplie de conviction, "l'Église est à un carrefour. Nous avons l'opportunité de choisir un leader qui incarne l'essence des enseignements du Christ — l'amour, l'acceptation et la transformation. Je propose que nous considérions le Cardinal Ricci, dont la vie est un témoignage de ces principes mêmes." La chapelle tomba silencieuse. Tous les regards se tournèrent vers Ricci, qui baissa la tête, humble et bouleversé. La suggestion était radicale, mais elle déclencha une discussion fervente parmi les cardinaux. L'Église pouvait-elle embrasser une décision aussi audacieuse ?

Un individu transgenre pouvait-il diriger les fidèles ? Après des jours de prière, de débat et de réflexion, les cardinaux ressentirent un élan collectif de l'Esprit. Le dernier jour du conclave, le vote fut exprimé. La fumée blanche s'éleva, signalant au monde qu'un nouveau pape avait été choisi. La foule sur la place Saint-Pierre attendait avec une anticipation impatiente. Lorsque le cardinal Ricci apparut sur le balcon, un silence se fit parmi les masses. Il prit une profonde inspiration, sentant le poids de l'histoire sur ses épaules, et s'adressa au monde pour la première fois en tant que Pape François II. « Mes chers frères et sœurs », commença-t-il, « aujourd'hui, nous faisons un pas en avant dans notre parcours de foi. L'amour de Dieu ne connaît pas de frontières, pas de limites. Embrassons-nous les uns les autres comme le Christ nous embrasse, et ensemble, construisons une Église qui soit un foyer pour tous. » La réaction fut mitigée, comme prévu. Certains étaient ravis, voyant en Pape François II un phare d'espoir et de progrès. D'autres étaient sceptiques ou carrément résistants, s'accrochant aux doctrines familières du passé. 

Mais Pape François II resta inébranlable, guidé par la foi et la conviction que l'Église pouvait évoluer tout en restant fidèle à sa mission fondamentale. Au cours des années suivantes, Pape François II travailla sans relâche pour combler les fossés, favoriser la compréhension et plaider pour les communautés marginalisées. Son pontificat fut marqué par une insistance sur la compassion, l'inclusivité et un retour aux enseignements fondamentaux de Jésus-Christ. Avec le temps, le message d'amour et d'acceptation de Pape François II commença à résonner plus profondément. Peu à peu, l'Église vit une augmentation de l'unité et un renouveau du sens de la mission. Son héritage devint celui d'une transformation — non seulement d'un individu, mais d'une institution qui apprit à embrasser le changement sans perdre son essence. L'histoire de Pape François II, le cardinal transsexuel devenu pape, devint un puissant témoignage de la force durable de la foi, de la possibilité de rédemption et de la capacité infinie d'amour dans le cœur humain.

jeudi 13 juin 2024

Le coût des maladies mentales

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Pierre Pestieau

Les médias nous alertent régulièrement sur la préoccupante situation de la santé mentale dans nos pays. Un récent rapport de Sciensano (1) révèle qu’en Belgique, environ 1 adulte sur 10 souffre d'un trouble de santé mentale tel que l'anxiété ou la dépression. Chez les enfants de 2 à 18 ans, environ 1 sur 10 présente des difficultés psychologiques ou comportementales nécessitant un suivi professionnel. Ces chiffres révèlent une souffrance souvent dissimulée et posent un véritable défi, car ils ont un impact économique significatif difficile à quantifier.

Une étude américaine apporte des éclairages intéressants à ce sujet (2). Selon cette étude novatrice, les maladies mentales coûtent 282 milliards de dollars par an à l'économie américaine, soit l'équivalent d'une récession économique moyenne. Cette estimation, représentant environ 1,7 % de la consommation nationale, dépasse de 30 % les évaluations antérieures du coût global des maladies mentales. Contrairement aux études précédentes qui se concentraient sur la perte de revenus et les coûts de traitement, cette nouvelle étude prend en compte diverses autres conséquences économiques négatives associées aux maladies mentales, telles que la diminution de la consommation, des investissements et le choix d'emplois moins exigeants chez les personnes affectées.

Au niveau national, plus de 20 % des adultes vivent avec une maladie mentale, dont environ 5,5 % souffrent de formes graves. D'après l'étude, fournir des services de santé mentale à tous les jeunes de 16 à 25 ans atteints de troubles mentaux engendrerait des bénéfices sociaux équivalant à 1,7 % de la consommation globale. Les chercheurs modélisent la maladie mentale comme un état de pensées négatives et de rumination, renforcé par le comportement. En conséquence, les patients travaillent, consomment et investissent moins, ce qui aggrave leur état en les empêchant parfois de suivre un traitement adéquat.

Une étude récente (3) semble indiquer que le problème touche aussi l’Europe avec une évolution inquiétante. Avant 2010, la relation entre d’une part l’âge et d’autre part la santé mentale ou le bien-être subjectif avait une forme de U. En d’autres termes c’est au milieu du cycle de vie que les gens se trouvaient les moins heureux et avaient la moins bonne santé mentale. Cette étude, qui porte sur la France, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne et la Suède, indique que la santé mentale s’améliore désormais de manière à peu près monotone avec l'âge, tandis que le bien-être subjectif augmente avec l'âge. En d’autres termes, ce sont les jeunes qui sont les plus touchés par les maladies mentales et qui sont les moins heureux. Cette étude montre également que les jeunes dont la santé mentale est moins bonne passent quotidiennement plus de temps devant un écran, sur Internet ou sur leur smartphone. Ces résultats semblent importants, car il s'agit de l'un des premiers travaux de recherche qui recourent à des données de panel pour suivre la relation entre le temps passé devant un écran et l'évolution de la santé mentale.

Ces études confirment la nécessité d’éloigner les jeunes des téléphones intelligents et des tablettes électroniques. Malheureusement comme pour la malbouffe, l’alcoolisme et le tabagisme, les pouvoirs publics manquent d’instruments efficaces.






(2). Abramson,B., J. Boerma and A. Tsyvinski (2024), Macroeconomics of Mental Health, NBER Working Paper #32354
(3). Blanchflower, David G. and Bryson, Alex and Lepinteur, Anthony and Piper, Alan, Further (2024), Evidence on the Global Decline in the Mental Health of the Young , NBER Working Paper #32500, https://ssrn.com/abstract=4843059


jeudi 6 juin 2024

Oubliée : Lizzie Magie, inventrice inconnue du Monopoly

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Victor Ginsburgh (*)

Nous avons (presque) toutes et tous joué au Monopoly dans notre jeunesse et peut-être encore aujourd’hui. C’est Lizzie Magie, féministe plutôt de gauche, qui l’a inventé sous le nom de The Landlord’s Game au début du 20ème siècle. Le jeu a été publié en 1906 par l’Economic Game Company, dont elle était propriétaire. Nuit après nuit, une fois son travail de bureau terminé, Lizzie s'asseyait chez elle, dessinant et redessinant, pensant et repensant. Elle voulait que son jeu de société reflète ses opinions politiques progressistes – c'était tout l'intérêt.

Ebauche du jeu inventé par Lizzie Magie

Le jeu de Lizzie comportait de l'argent fictif, des actes et des propriétés riches ou moins riches qui pouvaient être achetés et vendus. Les joueurs empruntaient de l'argent, soit à la banque, soit entre eux, et devaient payer des impôts. Dans un coin se trouvaient la maison des pauvres et le parc public (coin inférieur gauche), et de l'autre côté se trouvait la case Go to Jail (coin supérieur gauche). Rappelez-vous, cela veut dire Allez en tôle. Longtemps ou pas trop, selon votre forfait, alors que les autres joueurs pouvaient continuer.

Le jeu comportait un chemin qui permettait aux joueurs de faire le tour du tableau inventé par Lizzie. Chaque joueur avançait depuis le Go et s’aventurait d’une case à une autre générée par les points de deux vulgaires dés, jetés par un des joueurs. Chaque joueur pouvait acheter des terrains qui étaient payants, mais rapportaient des $ si un autre que le propriétaire tombait sur ledit terrain. Je m’arrête ici sur les finesses du jeu, sans quoi je passerais tout mon temps (et le vôtre) sans avoir plutôt raconté l’histoire de Lizzie, qui s’était fait voler le jeu qu’elle avait inventé.

Charles Darrow

Tout en étant progressiste, Lizzie espérait sans doute que les joueurs réfléchiraient aux fondements de la société capitaliste. Dans les règles du jeu du propriétaire, elle explique comment les conflits potentiels pouvaient être résolus. Il y avait d’ailleurs aussi une prison.

Que méritait un certain Charles Darrow qui dépose en 1933 les droits d’auteur du jeu et le baptise Monopoly, commence à le vendre dans les magasins de jouets et les grands magasins. Le jeu s’est finalement vendu à plus de 275 millions d’exemplaires et fait de Darrow un millionnaire, qui a roulé une femme bien plus subtile que lui.

La vérité apparaît enfin à Lizzie en 1936. C’était elle qui avait inventé le jeu, et elle pouvait le prouver. Elle vend finalement les droits d’auteur du Landlord’s Game à Parker Brothers pour un montant forfaitaire de $500, (environ$11.000 aujourd’hui).

Parker Brothers a également accepté de publier deux de ses autres jeux de société, King’s Men, un jeu d’association detuiles, et Bargain Day, un jeu de shopping. Ravie que ses idées atteignent un public plus large, elle écrit une lettre auxfrères Parker dans laquelle elle s’adressait au jeu du propriétaire comme s’il s’agissait d’une personne : « Adieu, mon idéebien-aimée. Je regrette de me séparer de toi (des jeux), mais je te donne à un autre qui pourra faire plus pour toi que jen’ai fait. »

Lizzie meurt à 81 ans en 1948 mais elle a vécu assez longtemps pour voir le succès durable d’un jeu basé sur sa propre invention, même si son nom avait été effacé pendant des années, et son idéologie de gauche s’est montrée atténuée.

Monopoly en couleurs, comme si je l'avais encore


(*) Je me suis permis de reproduire quelques paragraphes de l’article que le Guardian avait édité il y a neuf ans avec le titre The secret history of Monopoly : The capitalist board game, left wing origins. Le Guardian lui-même avait largement extrait de l’ouvrage de Mary Pilon, The Monopolists : Obsession, Fury and the Scandal Behind the World’s Favorite Board Game, Bloomsbury, 2015. Le jeu existe en 26 langues dont : anglais, espagnol, portugais, italien, turc, allemand, français, coréen, japonais, arabe, chinois et même russe, hindou, croate, tchèque, islandais.