jeudi 6 mars 2025

Richesse et dépendance

Pierre Pestieau


Les riches vivent plus longtemps que les pauvres et comme les sources de dépendance telles que la maladie d’Alzheimer ou les maladies chroniques sont liées au grand âge, on pourrait s’attendre à ce que la dépendance augmente avec la richesse. Or, il n’en est rien. Des études récentes (1) montrent que les pauvres courent un plus grand risque de perte d’autonomie et une fois qu’ils sont dans cet état, ils en souffrent plus longtemps que les riches. C’est ce que j’ai appelé la triple peine (2) dans un blog récent.


La relation inverse entre richesse et dépendance (ou le fait que les personnes plus riches sont généralement moins dépendantes en vieillissant) s'explique par une combinaison de facteurs socio-économiques et environnementaux.  D’abord, les individus riches ont un meilleur accès à des soins de santé préventifs et curatifs, tels que les examens médicaux réguliers pour dépister et traiter tôt les maladies chroniques ou l’accès à des spécialistes et à des traitements avancés, qui réduisent les complications susceptibles de conduire à une perte d’autonomie. En revanche, les populations plus modestes rencontrent souvent des obstacles financiers pour accéder à ces services, retardant les traitements et augmentant le risque de dépendance.


Ensuite, les personnes aisées vivent généralement dans des environnements plus sûrs et adaptés. Leurs logements sont mieux équipés pour prévenir les accidents (escaliers sécurisés, douches adaptées, etc.). Elles bénéficient davantage d’espaces verts et d’infrastructures favorisant une activité physique régulière. Au contraire, les personnes moins riches habitent souvent dans des logements précaires ou surpeuplés, augmentant les risques de chutes ou de maladies.

 


Autre raison : les individus plus riches ont souvent un mode de vie plus sain : une alimentation équilibrée et accès à des produits de meilleure qualité, la pratique régulière d'activités physiques qui maintiennent leur condition physique et retardent la perte de mobilité; moins de comportements à risque, comme le tabagisme ou la consommation excessive d’alcool. Par contre, les personnes en situation de précarité sont plus exposées à des aliments de moindre qualité (riches en sucres et graisses) et à des modes de vie sédentaires par manque de moyens ou d’information. Ajoutons à cela que les individus avec un niveau d'éducation élevé ont une meilleure compréhension des pratiques préventives.



Enfin, et c’est sans doute le facteur majeur, les riches occupent généralement des emplois physiquement moins exigeants, ce qui réduit les blessures et les troubles musculo-squelettiques en vieillissant. En revanche, les travailleurs des milieux modestes, souvent exposés à des conditions de travail pénibles, accumulent des problèmes de santé qui augmentent la probabilité de dépendance (arthrose, fatigue chronique, etc.).


Cette relation inverse entre la richesse et le risque de perte d’autonomie devrait constituer le fondement de toute politique de soutien à la dépendance. Un gouvernement soucieux de redistribution des revenus serait bien avisé de privilégier l'offre d’une assurance dépendance aux populations les plus vulnérables, plutôt que de recourir à un impôt sur le revenu. Il est en effet démontré qu'une telle assurance a des effets moins désincitatifs sur le travail et l’épargne que la taxation. Cette conclusion est largement reconnue et documentée. En dépit de cela, le statu quo persiste. Cela soulève la question de savoir si nos États-providence sont véritablement déterminés à adopter les réformes nécessaires. Il semble parfois que les inégalités, qu’elles soient liées à la santé, à l’éducation ou au logement, fassent intrinsèquement partie de l’ADN des États-providence dans les économies capitalistes.




(1). Connolly, M., Leroux, M.-L., & Konou, A. (2024). Evaluating the relationship between income, survival, and loss of autonomy among older Canadians, non publié; Lefebvre, M., Perelman, S., & Schoenmaeckers, J. (2018), Inégalités face à la mort et au risque de dépendance, Revue française d’économie, 33(2), 75–111; M. Lefebvre, J. Schoenmaeckers et L. Heymans, (2025) Impact of socio-economic status on loss of autonomy in the old age, non publié.

(2). 21 novembre 2024.

3 commentaires:

  1. Très instructif. Merci, Pierre.
    Jean-Paul Lambert

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  2. Etienne de Callatay6 mars 2025 à 21:29

    Merci Pierre ! La conclusion sur nos Etats-providence est sévère. Il faut dominer la peur qu'une réforme de ceux-ci ne puissent que déboucher sur une moindre solidarité, peur qui amène à préconiser un statu quo qui, dans la durée, délégitime le système.

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  3. Ok mais avec l'endettement, le prix des ressources et le réarmement il y aura moins de sous.. qui en fera les frais?

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