jeudi 14 mars 2013

Mourir pour éviter la misère


Pierre Pestieau

Il y a quelques semaines, un journaliste m’a demandé une interview sur la question volontairement provocatrice : « A quel âge faut-il mourir pour ne pas tomber dans la pauvreté ? ». Comme il avait besoin d’une réponse dans l’heure, j’ai décliné son invitation mais la question a continué à me turlupiner. Elle faisait allusion, si je comprends bien, à des situations relativement rares où un individu dispose d’un patrimoine qu’il n’a pas pu ou voulu transposer en rentes (1) ; se pose alors le problème du nombre d’années pendant lesquelles il pourra vivre décemment en “mangeant” progressivement ce patrimoine. Cela se calcule aisément. Un de mes amis d’université s’était penché sur cette question pour les Etats-Unis il y a plus de 40 ans. Il avait obtenu des données sur les suicides de personnes âgées dans l’Etat de New York et avait réussi à relier une partie de ces suicidés à l’état de leurs ressources financières. Elles n’avaient pas de retraites stables, et ne disposaient pas d’une pension qui tombait tous les mois  sous forme d’annuité; il n’existait pas de minimum vieillesse et lorsque le dernier dollar était dépensé, elles n’avaient pas d’autre choix que de mettre fin à leurs jours ou plus poétiquement, comme dans le Petit Poucet, d’aller se perdre dans la forêt. J’ai revu cet ami quelques années plus tard et lui ai demandé des nouvelles de son projet d’article. Il y avait renoncé faute de données suffisantes.

Cette situation est rare ; dans nos sociétés, il existe toute une série de filets de sécurité qui offrent des prestations minimales. Il faut néanmoins admettre que ces prestations flirtent avec les seuils de pauvreté et il n’est pas étonnant qu’un nombre croissant de personnes âgées bascule dans la pauvreté. Il suffit d’avoir des besoins spécifiques en matière de santé ou d’aides qui ne sont pas couvertes par l’assurance sociale. Il y a aussi une minorité de personnes âgées qui par peur de stigmatisation ou d’ennuis judiciaires ne recourent pas à des services auxquels elles auraient droit.

Ceci dit, les liens entre pauvreté et décès sont plus complexes. Il est vrai que les pauvres ont une espérance de vie plus basse que les riches. On observe sordidement que si les pauvres avaient la mauvaise idée de vivre aussi longtemps que les riches, le taux de pauvreté serait beaucoup plus élevé surtout dans le troisième âge. Plus généralement, beaucoup de pauvres naissent déjà pauvres et s’ils avaient eu le choix ils auraient peut être préféré ne jamais naître. Par ailleurs, si on s’intéresse à la corrélation entre pauvreté et suicide, on remarque qu’elle est sûrement plus élevée chez les jeunes que chez les personnes âgées. La majorité des suicides touchent les jeunes et peuvent souvent s’expliquer par des chocs économiques ou affectifs : divorce, chômage, échec financier.


(1) Cela n’arriverait pas avec la plupart des systèmes de pensions qui offrent soit une sortie en rente, soit une sortie en capital qui peut être échangé contre des rentes viagères.

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