SG, VG et JW
Feynman est l’exemple parfait de
surdoué. Il sait tout faire, démonter (et remonter) une montre, jouer du bongo,
dessiner, et apprendre l’espagnol quand il part au … Brésil. Il ne peut
s’empêcher d’être original. C'est un intuitionniste
tout simplement génial. Son intégrale de chemin comme base de la
mécanique quantique est un joyau de la physique théorique, qui parvient même à
expliquer les mirages (1).
Ce passionné du savoir veut aussi
passionnément le partager : il a charmé et captivé des milliers
d’auditeurs en expliquant, toujours à sa manière, l’inertie, l’énergie, l’entropie,
la relativité, la gravitation ou encore l’action, les diagrammes de Feynmann, les
polarons et le modèle des partons. Et s’il avait été économiste—mais le bien
penser l’énervait, il n’aurait pas tenu le coup—il aurait certainement pu
expliquer le modèle des patrons. Le savoir est comme le bonheur : il
augmente quand on le partage.
Il a connu la souffrance. Chantre du
réalisme matérialiste, il ne peut cependant pas s’empêcher d’adresser des
lettres d’amour émouvantes à son épouse décédée.
Il aura beaucoup écrit et beaucoup est
et sera encore écrit sur lui. Il s’est vu décerner le prix Nobel de physique en
1965. Il a été classé septième (après Galilée et avant Dirac) sur une liste des
physiciens les plus importants de tous les temps, lors d’une enquête menée en
1999 par le revue britannique Physics
World auprès des plus grands physiciens de l’époque (2).
La bêtise humaine le désole et
l’irrite. Il considérait le « quota juif » qui lui a fermé les
portes de l’Université de Columbia comme exemple parfait de ce que peuvent
décider les « autorités établies », ce qui ne l’a pas empêché
d’adresser, le 7 février 1967, la réponse qui suit à Tina Levitan qui se
proposait de l’inclure dans un ouvrage sur les prix Nobel juifs en 1967.
« Dans votre
lettre vous mettez l’accent sur la théorie que les Juifs ont hérité les
caractéristiques positives de leur peuple. Il est certain que beaucoup de
choses font partie de l’héritage de tout un chacun, mais il est malsain
[« evil », en anglais] et dangereux de supposer qu’il existe une
véritable race juive ou des caractères héréditaires qui sont spécifiquement
juifs, alors que nous savons très peu en cette matière. Nombreuses sont les
origines et les influences culturelles qui se sont mélangées en chacun de nous.
Et choisir comme positifs les éléments particuliers qui proviennent d’une soi
disant hérédité juive ouvre la porte à toutes sortes d’inepties sur la théorie
des races.
« Dont celle
utilisée par Hitler. Vous ne pouvez certainement pas prétendre que certaines
caractéristiques précieuses peuvent être héritées du « peuple juif »,
et nier que d’autres caractéristiques que certains peuvent trouver ennuyeuses,
voire pire, ne sont pas sujettes à la même hérédité. Pas plus que vous ne
pouvez nier que les caractéristiques que d’autres trouvent précieuses,
pourraient provenir d’un héritage « aryen ».
« Je pensais
que la dernière guerre nous aurait appris à ne pas croire que nous possédons
des caractéristiques spéciales simplement parce que nous sommes les enfants de
certains parents. Mais qu’au contraire, nous devons enseigner ces
caractéristiques à tous les hommes, parce que tous les hommes peuvent
apprendre, quelle que soit leur origine.
« C’est la
combinaison des caractéristiques de la culture de tout parent et de ses
parents, plus l’apprentissage, les idées et les influences des hommes de toutes
les origines qui m’ont fait tel que je suis, bon ou mauvais. J’aime les
éléments positifs (et négatifs) de mes origines mais je pense qu’il serait de
mauvais goût et insultant pour d’autres d’attirer l’attention sur ce seul
élément [juif] de ma composition.
« Lors de ma
treizième année, j’ai quitté l’école du dimanche juste avant ma Bar Mitzvah
[confirmation de rentrée dans l’âge adulte chez les Juifs] parce que je ne
partageais pas les mêmes vues religieuses, mais surtout parce que je me suis
subitement rendu compte que ce que nous apprenions de l’histoire juive, celle
d’un peuple merveilleux et talentueux, entouré par des étrangers bêtes et
méchants, était loin d’être la vérité. L'erreur de
l'antisémitisme n'est pas de penser que les Juifs sont après tout foncièrement
mauvais, mais de ne pas voir que le mal, la stupidité ou la grossièreté sont des
caractères universels et non pas le monopole du peuple juif. La plupart des Américains
non juifs ont aujourd'hui compris cela. L'erreur du prosémitisme n'est pas que
le peuple ou l’héritage juif ne soient pas foncièrement bons, mais plutôt que
l'intelligence, la bonne volonté et la gentillesse ne sont, grâce à dieu, pas
le monopole du peuple juif mais des caractères universels (3).
« C’est pour
cette raison, voyez-vous, qu’à l’âge de treize ans, j’ai non seulement commencé
à m’intéresser à d’autres religions, mais j’ai arrêté de croire que le peuple
juif était le ‘peuple élu’.
« C’est l’autre
raison pour laquelle je vous demande de ne pas m’inclure dans votre ouvrage et
j’espère que vous respecterez ma volonté ».
Tina Levitan n’a manifestement pas compris,
puisqu’un an plus tard, elle envoyait à Feynman une deuxième lettre lui
demandant de contribuer un article sur « L’homme de science et la religion »
à un volume amené à devenir « une galerie de portraits de savants juifs de
grande intelligence et de génie créatif ». Voici la réponse de Feynman
datée du 16 février 1968 :
« J’ai bien
reçu votre lettre du 14 février. Je vous prie de vous référer à ma
correspondance précédente, et en
particulier à ma lettre du 7 février 1967 et vous demande de comprendre que je
ne désire pas coopérer avec vous dans votre nouvelle aventure en
préjugés ».
Et toc. Feynman est mort en 1988. Mais
il nous a légué de quoi méditer sur la signification de ce qu’est l’humanisme
Stéphane Ginsburgh, musicien
Victor Ginsburgh, économiste
Jacques Weyers, physicien
(1) Voir Richard Feynman, Lumière et matière. Une étrange histoire, Paris: InterEditions, 1987.
(2) Voici la
liste : (1) Albert Einstein, (2) Isaac Newton, (3) James Clerk Maxwell, (4) Niels
Bohr, (5) Werner Heisenberg, (6) Galileo Galilei, (7) Richard Feynman, (8) Paul
Dirac, (9) Erwin Schrödinger, et (10) Ernest Rutherford.
(3) Le texte en anglais depuis « L’erreur de l’antisémitisme … mais un
caractère universel de l’homme »
est assez confus, du fait de doubles négations qui sont difficiles à
comprendre. L’honnêteté nous impose de le reproduire dans son intégralité :
« The error of
anti-Semitism is not that the Jews are not really bad after all, but that evil,
stupidity and grossness is not a monopoly of the Jewish people but a universal
characteristic of mankind in general. Most non-Jewish people in America today
have understood that. The error of pro-Semitism is not that the Jewish people
or Jewish heritage is not really good, but rather the error is that
intelligence, good will, and kindness is not, thank God, a monopoly of the
Jewish people but a universal characteristic of mankind in general ».
L’échange de correspondance entre Richard Feynman et Tina Levitan est
disponible à l’adresse internet suivante :
Bien d'accord avec cette analyse, toutefois, la conviction de faire partie de l'élite d'Adonaï doit "booster l'ego".
RépondreSupprimerLes élites sont minoritaires par définition et la doubble appartenance religieuse et scientifique ne peut que produire des talents exceptionnels ce qui explique, pour moi, le ratio exceptionnelement élevé des réussites sémites dans de nombreux domaines.
Ceci dit, la réussite individuelle n'est pas que le fruit de facteurs internes, le monde est fait de concurents sémites et antisémites qui bloquent, sans doute dans de nombreux cas, le succès de leurs concurrents, mais cela n'est pas exclusif!
It is funny/tragic that in the XXI century we still have to remind the obvious. Other than that, the only religious category that I can bear is the "humorist" one: http://www.youtube.com/watch?v=MLUO-EIcvdk
RépondreSupprimerCette lettre de Feynman est tt à fait intéressante. Merci de nous l'avoir fait connaître.
RépondreSupprimer"alors que nous savons très peu en cette matière"!
RépondreSupprimerThis says everything even for Feynman. I agree.