Pierre Pestieau
Bilinguisme aux Etats-Unis |
Dans une étude récente, Borjas, un des meilleurs spécialistes de
l’immigration, montre que les immigrants américains connaissent des évolutions
salariales beaucoup moins favorables aujourd’hui qu’il y a plusieurs décennies
(1). Ce serait particulièrement vrai des immigrants d’origine latino-américaine
et une des raisons invoquées semble être le bilinguisme anglais espagnol. Du
fait de ce bilinguisme, il est possible de vivre sans apprendre l’anglais, ce
qui peut être un handicap professionnel.
Un autre exemple est celui de la parité relativement récente qui règne
dans les universités américaines. Elle entraîne une augmentation d’une certaine
endogamie; les diplômés universitaires se marient entre eux, ce qui tendrait à
accroître les inégalités de revenus (2).
Mon intention n’est pas de dénoncer la politique linguistique des Etats
Unis et encore moins la parité dans les études, qui, soit dit en passant, n’est
pas encore suivie d’une parité dans les salaires. Elle est simplement
d’indiquer que ces deux évolutions peuvent avoir des conséquences inattendues
sur l’égalité des chances et la redistribution. Or elles étaient sans doute
inspirées par un souci d’accroître la mobilité sociale.
Revenir au temps de Cendrillon où le prince charmant épouse une
pauvrette ou à celui où la princesse s’éprend d’un berger n’est pas une
solution. Il suffit simplement de reconnaître que la famille et le mariage en particulier
sont des vecteurs d’inégalité et d’adopter un système fiscal qui tienne compte
de cette réalité.
Ces situations où l’intention première d’une politique est déjouée par
les faits relèvent de ce qu’on
appelle parfois l’effet Mathieu (3) ou dans d’autres cercles la loi de Director
(Director’s law) (4). Ce sont deux lois empiriques qui partent de l’observation
de pratiques sociales. L’effet Matthieu se produit lorsque la classe moyenne
bénéficie de programmes pourtant censés aider les pauvres; selon la loi de
Director la plupart des politiques redistributives finissent par profiter aux
classes moyennes au détriment des pauvres et des riches. Inutile d’ajouter que
ces deux lois sont loin d’être universelles.
(1) George J. Borjas, The slowdown in the economic assimilation
of immigrants: Aging and cohort effects revisited again, NBER Working Paper No.
19116
(2) C’est Etienne de Callatay qui m’a signalé cette
hypothèse qui continue de faire l’objet de tests multiples.
(3) La paternité de cet effet revient à Herman Deleek.
Il est inspiré par la parabole des talents où le seigneur profère une sentence
bien étrange : « Car on donnera à celui qui a, et il sera
dans l'abondance, mais à celui qui n'a pas on ôtera même ce qu'il a. »
(4) George
J. Stigler, Director's law of public income redistribution,
Journal of
Law and Economics 13
(1970), 1-10.
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