Pierre Pestieau
Le congrès des
économistes belges de langue française (1) qui vient d’avoir lieu, portait sur
l’Etat social belge. Je préfère quant à moi le terme d’Etat providence. Au
moment où il a fallu trouver des orateurs pour la session plénière et pour la Commission
portant sur les inégalités dont j’avais la charge, on s’est aperçu qu’il n’y
avait pas de spécialistes de l’Etat providence en Belgique francophone. Les
noms qui revenaient étaient ceux de collègues flamands tels que Frank van den
Broek, Erik Schokkaert et Bea Cantillon, sans parler des nombreux jeunes chercheurs
qui travaillent avec eux à Anvers et à Leuven. C’est d’ailleurs eux que nous
avons invités. Cela peut s’expliquer à mon sens mais c’est inquiétant quand on
pense que c’est en Francophonie et non en Flandre que l’Etat
providence connaît
et connaîtra de graves difficultés du fait de la régionalisation en marche et
d’un taux d’emploi désespérément bas.
Comment expliquer cette pauvreté de la réflexion sur l'Etat
providence chez les Belges francophones, qui en ont pourtant tant besoin? Il y
a au moins 3 raisons:
(a) L'étroitesse de la société francophone: à peine 4
millions de personnes, dont certaines ont le regard sans cesse tourne vers la
France.
(b) Nos meilleurs économistes sont des théoriciens davantage
tournés vers l'étranger, le monde anglo-saxon qui fait les réputations.
(c) Chez les francophones, la réflexion sur la politique
sociale est monopolisée par le Parti Socialiste (PS) et les syndicats, qui se
méfient viscéralement d'une approche sociale-démocrate plus intellectualisante
que militante. Les chercheurs flamands dont il est question ci-dessus sont d’ailleurs
très proches du parti socialiste flamand (SP), qui se démarque du PS en adoptant
une approche davantage proactive de la protection sociale.
Cette situation est paradoxale quand on sait que la performance de l’Etat providence
flamand est parmi une des meilleurs dans l’Union Européenne alors que la
Wallonie est reléguée en queue du peloton, à la hauteur du Portugal et de la Grèce.
Quand on met ces deux réalités côte à côte, un Etat
providence en déliquescence et une absence d’intérêt chez les chercheurs, on ne
peut que s’interroger. Les interprétations sont variées. Outre les trois
facteurs évoqués ci-dessus, on peut en citer d’autres. Dans le désordre :
le malade est tellement mal en point que les médecins, désespérant de le guérir,
l’abandonnent ; c’est parce que les médecins ne s’en sont pas occupés que
le malade est dans cet état ; les économistes francophones seraient
fondamentalement libéraux et pour eux le meilleur Etat providence devrait
être réduit à sa portion congrue ; de nombreux économistes francophones,
ceux de l’ULB et de l’UCL notamment, se sentent Bruxellois et ne voient pas la
même réalité que les Wallons, alors que dans les faits la situation de
Bruxelles est encore plus calamiteuse que celle de la Wallonie. Quelle que soit l’interprétation
que l’on puisse en donner le paradoxe vaut bien une discussion.
(1) En
Allemand, on pourrait en faire un seul mot qui dépasserait en longueur notre
classique
" anticonstitutionnellement ".
(2) Lefebvre M. et P. Pestieau, L’Etat-providence
en Europe. Performance et dumping social, Editions du CEPREMAP,
Paris, 2012, 80 p.
Il y a pourtant Bruno Colmant
RépondreSupprimerVariation sur la raison (c): le monde politique et le secteur public flamands (mais aussi anglais, etc ....) sont plus ouverts aux scientifiques et au débat avec ceux-ci qu'en Wallonie. En francophonie, il faut avoir montré "patte blanche" (lire: avoir une carte du bon parti) pour être consulté en tant qu'expert. Ne parlons pas du cadenassage presque systématique des données. Pour faire de la bonne recherche, il faut aussi avoir de bonnes données. Cf. le nombre important de chercheurs travaillant sur les données danoises. L'expertise ainsi générée est au bénéfice des décideurs publics danois. Nos décideurs publics ont peur de ce que l'on pourrait trouver dans les données francophones ...
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