Pierre Pestieau
Dans la plupart des sociétés,
les enfants viennent en aide à leurs parents. C’est le cas des enfants qui
aident leurs parents dépendants ou ceux qui expatriés continuent à leur verser une
fraction de leurs revenus. Certes ces transferts ascendants sont en moyenne
moins importants que les transferts descendants, dont les formes principales
sont l’éducation et les legs, mais ils sont plus surprenants dans la mesure où
leurs motivations sont moins claires. Rien n’est plus naturel que l’amour que
les parents portent à leurs enfants ; en revanche la réciproque l’est
moins.
Citons à ce sujet un
philosophe bien oublié, au nom qui
fait plutôt penser à Astérix, Helvétius, qui
a disserté sur les haines et amours familiales. On lui doit le proverbe fondé
sur une observation constante : « L’amour
des parents descend et ne remonte pas. » Il entend par là que l’amour des père
et mère pour les enfants surpasse celui des enfants pour les père et mère. La
nature, veillant à la conservation des espèces, a voulu donner la plus grande énergie
au sentiment paternel et maternel, afin d’enchaîner les parents à tous les
soins nécessaires pour protéger la frêle existence des enfants; elle agit ainsi
dans tous les animaux comme dans l’homme.
Comment alors expliquer les
aides et transferts ascendants. Trois raisons sont généralement avancées:
l’altruisme, l’échange qui peut être stratégique et la norme familiale. Ainsi
donc, on pourrait venir en aide à ses parents soit spontanément par amour, par piété
filiale, soit plus ou moins contraint par une norme sociale, soit encore dans
le cadre d’un échange plus ou moins explicite, parfois stratégique, basé sur le
donnant donnant: je t’éduque, je m’occupe de tes enfants, je te léguerai mon
patrimoine, en échange de quoi tu me viens en aide en cas de dépendance. On
devine que dans la réalité, ces trois motivations jouent un rôle plus ou moins important
selon les personnes.
Depuis quelques temps les économistes
essaient d’évaluer l’importance relative de ces trois motivations selon les
pays ou les groupes sociaux. La
question est pertinente dans la mesure où l’efficacité et le cout des
politiques sociales que l’on pourrait entreprendre dépendront de la motivation
qui prévaut. Pour évaluer leur importance, on recourt à une série d’indicateurs
plus ou moins révélateurs. Dans le cas de la dépendance, si l’aide filiale s’accompagne
de transferts descendants, on tendra à privilégier la thèse de l’échange. Si l’aide
s’adresse autant aux beaux-parents qu’aux parents, on pourrait y déceler le rôle
d’une norme familiale. Si l’aide aux parents est d’autant plus élevée qu’ils
sont dans le besoin, on penchera plutôt pour la thèse de l’altruisme. Si l’aide
est suivie par de gros problèmes de santé pour l’aidant, on penchera pour la
norme familiale.
Sans entrer dans le détails,
des études portant sur la dépendance et sur les envois de fonds d’émigrés
(remittances) semblent montrer que le rôle de la norme sociale et dans une
moindre mesure de l’échange prédomine (1). On notera pour conclure que l’expression
aidant naturel, qui désigne souvent
les enfants, les filles, qui viennent en aide à leurs parents est discutable ; car cette aide n’est pas aussi naturelle qu’on veut bien le
croire.
Ceci est tellement vrai qu’en
Chine, une nouvelle loi nationale vient
d’être votée qui impose aux enfants de ne pas laisser leurs parents dans
l’isolement. La photo qui illustre ce blog représente une grand-mère qui
a gagné un procès pour que sa fille vienne lui rendre visite au moins une fois
tous les deux mois (2).
(1) Perelman,
S., P. Pestieau et J. Schoenmackers
(2014), Three motives for long term caring : altruism, exchange and
family norm, ronéo.
De Weerdt, J., G. Genicot et A. Mesnard (2014),
Asymmetry of Information within Family Networks, ronéo.
(2) http://www.la-croix.com/Actualite/Monde/La-Chine-impose-la-piete-filiale-par-la-loi-2013-07-02-981399
Mais non, Papa, ça n'est pas un mythe !
RépondreSupprimerLe commentaire de ton fils (je suppose) est tendre. Ceci dit, ton analyse est très intéressante dans un monde où les familles classiques deviennent plus rares (père et mère séparés): à qui donner la priorité? Il ne me semble pas horrible que la loi impose un minimum d'altruisme, puisqu'elle en impose un dans le cas inverse: pensions alimentaires, notamment.
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