Pierre Pestieau
Selon La Libre du 19 avril (1), les Belges se sont enrichis en termes réels
de 40% depuis le début de ce siècle. Leur patrimoine se diviserait presqu’également
en patrimoine financier et en patrimoine immobilier; le second aurait connu une
augmentation beaucoup plus forte (86,7%) que le premier (15,3%).
Ce n’est pourtant pas le sentiment de
la grande majorité des Belges. Comment expliquer ce paradoxe ? J’y vois 4
raisons : la disparité des patrimoines, l’asymétrie de perception entre
pertes et gains, les plus-values non réalisées qui demeurent intangibles et le
logement propre qui croît en valeur de revente mais pas en valeur d’usage.
On le sait notamment grâce aux travaux
de Thomas Piketty, les disparités de richesse ont augmenté depuis plusieurs années
avec pour conséquence que ce sont les plus riches qui ont bénéficié des
dividendes de la croissance. Ceci est vrai pour les revenus mais aussi pour le
patrimoine. On sait ainsi d’après une étude de la Banque Nationale que 20% des Belges les plus riches
possèdent 61,2% du patrimoine national. Par contraste, les 20% des ménages les
plus pauvres ne possèdent que 0,2% du patrimoine. Notons en passant que la Belgique
est un des pays les moins inégalitaires ; la moyenne européenne est que
20% des ménages possèdent plus de 70% du patrimoine.
Au cours de cette période de près de 15
ans, il y a eu des gagnants mais aussi des perdants. Les études sur l’économie
comportementale ont convergé sur deux constats : d’abord, les gains relatifs
sont aussi importants que les gains absolus et ensuite la perte d’une somme
donnée est toujours plus douloureuse que le gain de la même somme n’est réjouissant (2). Du fait de ces deux observations, on
comprend que ceux qui ont perdu feront beaucoup plus de bruit que ceux qui ont
gagné et que ceux qui ont gagné mais moins que leurs voisins auront l’impression
d’avoir perdu.
Les détenteurs d’actions qui ont vu
leur valeur augmenter fortement ont la nette impression qu’ils n’en profitent
pas aussi longtemps qu’ils ne réalisent pas leurs gains en capital. Et si d’aventure,
l’Etat avait la bonne idée de taxer les plus-values, ils crieraient au
scandale.
Si vous habitez une maison que vous avez
achetée 200.000 euros il y a 40 ans et qu’elle vaut aujourd’hui 800.000 euros,
vous n’avez pas l’impression de jouir d’un bien-être qui aurait quadruplé. Cela
rappelle l'anecdote du pêcheur de l’Ile de Ré qui habitait depuis sa naissance
une petite maison qui alors ne valait pas grand chose et qui aujourd’hui
pourrait se vendre pour 2 millions d’euros. Comme il est soumis à l’ISF et ne
touche qu’une pension modique de 1000 euros par mois, il a le sentiment de s’être
appauvri. Dans ces deux exemples, la réponse est simple. Il suffit de vendre le
bien immobilier et d’en racheter un autre moins cher qui se situe dans un
environnement moins huppé. Le sentiment demeure que l’on ne s’est pas enrichi.
(2) Cette théorie dite
des perspectives a été développée par Daniel
Kahneman et Amos
Tversky en 1979. Elle a valu au premier le prix
Nobel d'économie en 2002. À partir d'expériences
de laboratoire, elle décrit la manière dont les individus évaluent de façon asymétrique
leurs perspectives de perte et de gain Pour donner un exemple très simplifié,
la douleur de perdre 1000 euros ne pourrait être compensée que par le plaisir
de gagner 2000, ou même 3000 euros.
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