Pierre Pestieau
Dans le débat politique courant, ces deux types de fraude constituent un
duo d’inséparables frères ennemis. Toujours opposés dans un monde manichéen.
Pour la gauche, la fraude est essentiellement fiscale. Typiquement, tout indépendant
est un fraudeur en puissance. Pour la droite au contraire, la fraude est
surtout sociale ; l’allocataire social, en particulier le chômeur ou le bénéficiaire
de minimums sociaux est un tricheur potentiel. Et si ce n’est pas lui, c’est
son frère.
Que faut-il en penser ?
Il existe une zone grise entre ces deux fraudes. Le travail au noir inclut
en effet les deux. Fraude sur l’impôt sur les revenus et sur la TVA ; fraude
sur les cotisations sociales et cumul avec des allocations sociales. La distinction
n’est donc pas si claire.
En 2011, Dominique Tian, député
UMP et rapporteur de la mission d’évaluation des comptes de la Sécurité sociale
publiait un rapport (1) qui donnait
4 milliards d’euros de fraude aux prestations, contre 16 milliards
d’euros aux prélèvements et 25 milliards d’euros d’impôts non perçus par
le Trésor — ces deux formes de fraude étant du ressort
des entreprises et des contribuables fortunés.
Fraudes fiscale et sociale conduisent à fausser la concurrence, à une perte
de revenus pour l’Etat et la sécurité sociale et à un abandon de la protection
des conditions de travail. Elles ont aussi en commun d’avoir chacune une
contrepartie légale. Dans le cas de la fraude fiscale, ce sont les différentes
pratiques d’évasion fiscale. Dans le cas de la fraude sociale, ce sont les
pratiques abusives. Deux exemples. D’une part la surconsommation de médicaments
et particulièrement d’antidépresseurs que l’on observe en France. D’autre part,
il y a les prétendus excès de dépenses de santé des Wallons par rapport aux
Flamands. Pour mesurer ces abus on
utilise la méthode du benchmarking, aussi appelée méthode des meilleures
pratiques. C’est une méthode qui consiste à comparer les pratiques de différents
prestataires ou allocataires et de repérer les déviants.
La fraude sociale implique souvent des personnes fragiles.
Est-elle
toujours condamnable si l’on fait abstraction de la dimension légale ?
Certes de nombreux exemples de fraude sociale sont motivés par l’appât du gain
et n’ont aucune justification dans la mesure ou ils peuvent mettre la vie ou la
santé des personnes en danger. Il y a cependant des exemples de fraude que
d’aucuns essaient de justifier au nom de l’inadéquation de notre protection
sociale avec les vrais besoins de la population. Telle personne qui se fait
passer pour un isolé alors qu’elle est dépendante arguera que l’indemnité
qu’elle touche comme dépendante est largement insuffisante pour mener une
existence décente. Telle autre qui travaille au noir tout en touchant une
indemnité de chômage se défendra en disant que c’est la seule manière de
nourrir sa famille. Si ces situations sont avérées, la solution n’est pas dans
la fraude mais dans la reforme
des règles de protection sociale.
Deux mots pour terminer. Le manque à gagner pour le trésor public vient
davantage de l’évasion fiscale et des usages abusifs du système de protection
sociale que de la fraude au sens strict. Ensuite, quand on voit une pauvreté
croissante et une concentration de la richesse atteignant des sommets
d’indécence, il est difficile de penser que la fraude et l’évasion fiscale ne
jouent pas un rôle plus important que la fraude sociale dans la répartition des
ressources nationales.
(1) « Rapport
d’information sur la lutte contre la fraude sociale », mission d’évaluation et de contrôle des lois de
financement de la Sécurité sociale, Assemblée nationale,
29 juin 2011.
J'aime beaucoup ta notion de fraude sociale. Cela ne s'appelait-il pas avant "déshonnêteté"? Dans un cas, y'a pas de quoi avoir très honte, on fait ce qu'on peut pour survivre, dans l'autre (paradis fiscaux etc.) si.
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