Victor Ginsburgh
Je fuyais la guerre, rêvant d’un
ailleurs, d’une vie meilleure. Silencieux, anxieux, je m’approche d’une
frontière dans l’espoir que la terreur et la souffrance perdraient mes traces.
Une fois à la frontière, le
passeur me dit de jeter un dernier regard sur ma terre natale. Je m’arrêtai et
regardai en arrière : tout ce que je vis n’était qu’une étendue de neige
avec les empreintes de mes pas. Et de l’autre côté de la frontière, un désert
semblable à une feuille de papier vierge. Sans trace aucune. Je me suis dit que
l’exil serait ça, une page blanche qu’il faudrait remplir.
A peine ai-je franchi la
frontière que le vide m’aspira. C’est le vertige de l’exil. Je n’avais plus ma
terre sous le pied, ni ma famille dans les bras, ni mon identité dans la
besace. Rien.
L’exil ne s’écrit pas. Il se
vit. Alors j’ai pris le calame, ce fin roseau taillé en pointe dont je me
servais enfant, et je me suis mis à tracer des lettres calligraphiées,
implorant les mots de ma langue maternelle. Pour les sublimer, les vénérer.
Pour qu’ils reviennent en moi. Pour qu’ils décrivent mon exil.
Ce sont quelques mots du dernier ouvrage d’Atiq Rahimi (1), un réfugié qui
a quitté en 1985 son Afghanistan natal, terrorisé par les troupes russes avant
de l’être par les Américains. En 2008, un de ses livres obtient le prix
Goncourt. L’ouvrage dont sont extraits les mots qui précèdent est le troisième
qu’il écrit en français :
On me demande souvent si je me
sens plutôt afghan ou français… Afghan quand je suis en France, français quand
je suis en Afghanistan. Je suis toujours ailleurs. Je suis là où je ne suis
pas.
C’est sans aucun doute ce que vivent le plus grand nombre des réfugiés
d’aujourd’hui, même si c’est le sable et pas la neige qu’ils ont quitté. Ils ne
deviendront pas tous des écrivains de talent, mais ils n’ont certainement pas
le cœur à devenir des terroristes, comme certains le disent. Il n’y avait
d’ailleurs aucun réfugié ou immigrant parmi les terroristes de ces dernières
années. Ils sont tous français ou belges, donc enfants ou petits enfants
d’immigrés.
C’est à nous qu’il appartient de comprendre ce que nous avons mal fait. Et
à eux de nous expliquer pourquoi ils ont mal fait, comme le disait il y a quelques jours sur Arte dans le 28 minutes, l’ethno psychologue, écrivain
et réfugié Juif, né en Egypte, Tobie Nathan (2) : C’est par l’intelligence que l’on combat la terreur et pas par l’émotion.
C’est aussi, en d’autres termes, ce qu’écrit le journaliste israélien Uri
Avnery (3) : Déclarer la guerre au terrorisme international est un
non-sens. Le terrorisme est une arme, comme l’est un canon, et on rirait de
quiconque déclare la guerre à l’artillerie internationale. Il met aussi en
garde tout idiot qui se prendrait à comparer le terrorisme en Israël et chez
nous. Et ce n’est pas en fermant (pour des raisons financières !) le
dernier théâtre palestinien de Jérusalem que l’intifada des couteaux s’arrêtera
(4).
(1) Atiq Rahimi, La ballade du calame, Paris :
L’Iconoclaste, 2015.
(2) Lisez de lui Ce pays qui te ressemble, Paris: Stock, 2015.
(3) Uri Avnery, The Reign of
Absurdiocy, November 28, 2015. Voir
(4) Abir Kopty, Israel moves to shit down the only
Palestinian theater in Jerusalem, http://mondoweiss.net/2015/11/palestinian-theater-jerusalem?utm_source=Mondoweiss+List&utm_campaign=7e9b106f8b-RSS_EMAIL_CAMPAIGN&utm_medium=email&utm_term=0_b86bace129-7e9b106f8b-398438177
Israel moves to shit down ... Que voilà une bonne idée! Marc.
RépondreSupprimerBeau texte, Victor! Bravo! Marc.
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