mercredi 18 mai 2016

Nombreux à gagner un peu et peu nombreux à perdre beaucoup II


Victor Ginsburgh

Mes observations sont suscitées par le blog de Pierre Pestieau, mais examinent le problème qu’il soulève sous un autre angle.

La globalisation et l’ouverture des marchés — souvent obtenues en réduisant ou en supprimant les droits de douane ou encore en laissant les poulets américains, trempés dans les chlore, franchir la frontière entre les Etats-Unis et l’Europe, comme cela risque d’être le cas si le TTIP se réalise — a essentiellement pour but d’augmenter le bien-être global de l’ensemble des participants. C’est en tout cas ce que dit le « premier théorème de bien-être » de l’économie classique. Mais il ne dit pas que chaque citoyen en sortira gagnant. Le « deuxième théorème » vient à notre secours en ajoutant que le l’augmentation globale de bien-être est suffisante pour permettre une redistribution des gains, de façon à augmenter le bien être de chaque citoyen.


Il faut tout d’abord observer que ces deux « théorèmes » ne sont « vrais » que dans un monde dans lequel il n’y a pas d’autres imperfections, tels que des monopoles, de la corruption, ou des centaines d’autres facteurs qui empêchent la concurrence parfaite. S’il l’on ne parvient pas à se débarrasser de toutes ces imperfections, mêmes mineures, on peut montrer que les résultats des deux théorèmes peuvent ne pas être vérifiés. Autrement dit, l’ouverture des marchés peut avoir des effets négatifs, même s’il y a redistribution.

Malheureusement, les politiciens et de nombreux économistes s’accrochent au premier théorème (pour autant qu’ils le connaissent…), le font passer pour vrai dans tous les cas, et oublient le « deuxième théorème », sous prétexte que la main invisible fera le reste quelques années après l’ouverture des marchés. Ce qui est loin d’être évident dans tous les cas, même s’il n’y a aucune autre imperfection.

Pour simplifier, supposons être dans le bon cas où seuls les droits de douane constituent l’imperfection. Leur suppression ne suffit pas si on « oublie » (ou on s’en fout) de redistribuer, ce qui engendre évidemment les perdants dont parle Pierre Pestieau.

Peut-on néanmoins faire quelque chose ? Dans le cas cité par Pierre, oui sans doute. Il aurait fallu prévoir la catastrophe, réfléchir un peu, créer des industries de remplacement dans les régions touchées par les pertes d’emploi, et préparer les travailleurs à ces nouveaux emplois.

D’où peuvent provenir les moyens pour redistribuer, créer et rééduquer ? D’une taxation supplémentaire qui représente un pourcentage du gain estimé qui fait suite à la réduction des prix des textiles, électroniques et jouets qui sont importés de Chine, et qui « profitent » à tous te monde. Est-ce facile ? Non, rien n’est facile, mais c’est faisable. Il est évidemment plus facile de fermer les yeux.

Est-ce que cela peut fonctionner de la même manière quand nous roulons dans la farine les pays en voie de développement en leur proposant des accords de libre-échange et en leur « suggérant » d’abattre leurs forêts pour cultiver de la canne à sucre, des palmiers à huile et des cacahuètes ? Non, parce que cela a engendré des dommages irréparables dans le court et même le long terme : disparition des forêts et appauvrissement probablement irrécupérable des sols, productions de produits nocifs pour la santé de tous (huile de palme).

Et qu’une grande partie des terres arables (60 millions d’hectares selon un rapport de la Banque Mondiale) et des nappes aquifères en Afrique  (1) et en Amérique latine sont achetées à vil prix par la Chine, l’Inde, la Corée du Sud, les pays du Golfe et l’Europe qui corrompent les élus locaux, qui eux, ne mourront ni de faim ni de soif.

(1) Voir par exemple (mais il y en a plein d’autres sur le web) Jean-Pierre Serjanian La course aux terres agricoles en Afrique, Géopolis et Francetvinfo,  http://geopolis.francetvinfo.fr/la-course-aux-terres-agricoles-en-afrique-6107


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