Victor Ginsburgh
Mes observations sont suscitées par le blog de Pierre Pestieau, mais examinent
le problème qu’il soulève sous un autre angle.
La globalisation et l’ouverture des marchés — souvent obtenues en réduisant
ou en supprimant les droits de douane ou encore en laissant les poulets américains,
trempés dans les chlore, franchir la frontière entre les Etats-Unis et
l’Europe, comme cela risque d’être le cas si le TTIP se réalise — a
essentiellement pour but d’augmenter le bien-être global de l’ensemble des participants. C’est en tout cas ce que dit
le « premier théorème de bien-être » de l’économie classique. Mais il
ne dit pas que chaque citoyen en sortira gagnant. Le « deuxième
théorème » vient à notre secours en ajoutant que le l’augmentation globale
de bien-être est suffisante pour permettre une redistribution des gains, de
façon à augmenter le bien être de chaque citoyen.
Il faut tout d’abord observer que ces deux « théorèmes » ne sont
« vrais » que dans un monde dans lequel il n’y a pas d’autres
imperfections, tels que des monopoles, de la corruption, ou des centaines
d’autres facteurs qui empêchent la concurrence parfaite. S’il l’on ne parvient
pas à se débarrasser de toutes ces
imperfections, mêmes mineures, on peut montrer que les résultats des deux
théorèmes peuvent ne pas être vérifiés. Autrement dit, l’ouverture des marchés
peut avoir des effets négatifs, même s’il y a redistribution.
Malheureusement, les politiciens et de nombreux économistes s’accrochent au
premier théorème (pour autant qu’ils le connaissent…), le font passer pour vrai
dans tous les cas, et oublient le « deuxième théorème », sous
prétexte que la main invisible fera le reste quelques années après l’ouverture
des marchés. Ce qui est loin d’être évident dans tous les cas, même s’il n’y a
aucune autre imperfection.
Pour simplifier, supposons être dans le bon cas où seuls les droits de
douane constituent l’imperfection. Leur suppression ne suffit pas si on
« oublie » (ou on s’en fout) de redistribuer, ce qui engendre
évidemment les perdants dont parle Pierre Pestieau.
Peut-on néanmoins faire quelque chose ? Dans le cas cité par Pierre,
oui sans doute. Il aurait fallu prévoir la catastrophe, réfléchir un peu, créer
des industries de remplacement dans les régions touchées par les pertes
d’emploi, et préparer les travailleurs à ces nouveaux emplois.
D’où peuvent provenir les moyens pour redistribuer, créer et
rééduquer ? D’une taxation supplémentaire qui représente un pourcentage du gain
estimé qui fait suite à la réduction des prix des textiles, électroniques et
jouets qui sont importés de Chine, et qui « profitent » à tous te
monde. Est-ce facile ? Non, rien n’est facile, mais c’est faisable. Il est
évidemment plus facile de fermer les yeux.
Est-ce que cela peut fonctionner de la même manière quand nous roulons dans
la farine les pays en voie de développement en leur proposant des accords de
libre-échange et en leur « suggérant » d’abattre leurs forêts pour
cultiver de la canne à sucre, des palmiers à huile et des cacahuètes ? Non,
parce que cela a engendré des dommages irréparables dans
le court et même le long terme : disparition des forêts et appauvrissement
probablement irrécupérable des sols, productions de produits nocifs pour la
santé de tous (huile de palme).
Et qu’une grande partie des terres arables (60 millions d’hectares selon un
rapport de la Banque Mondiale) et des nappes aquifères en Afrique (1) et en Amérique latine sont achetées
à vil prix par la Chine, l’Inde, la Corée du Sud, les pays du Golfe et l’Europe
qui corrompent les élus locaux, qui eux, ne mourront ni de faim ni de soif.
(1) Voir par exemple (mais il y
en a plein d’autres sur le web) Jean-Pierre Serjanian La course aux terres
agricoles en Afrique, Géopolis et
Francetvinfo, http://geopolis.francetvinfo.fr/la-course-aux-terres-agricoles-en-afrique-6107
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