Pierre Pestieau
Il n’a pas
que l’économie qui peine à résoudre les problèmes d’aujourd’hui et à anticiper ceux de demain. L’historienne et
psychanalyste Elisabeth Roudinesco (1) portait récemment un jugement sévère sur
la vie intellectuelle de la France, passée en trente ans des maîtres-penseurs de
gauche au triomphe des essayistes ultra droitiers.
Pour expliquer l’éclipse publique de la pensée de gauche elle ne met pas tant
l’accent sur l’échec du communisme réel que sur la révision de l’histoire
moderne qui a vu certains historiens expliquer que 1917 était déjà 1789 et les
« nouveaux philosophes » affirmer que le goulag était déjà dans Marx. A partir
de ce moment-là, on s’est mis à rejeter l’idéal révolutionnaire qui avait été
porté pendant la seconde moitié du XXe siècle par les intellectuels de gauche.
Ce travail de destruction a conduit à voir en Sartre un suppôt du totalitarisme
et à juger que la révolution russe était pire que le nazisme. Tout cela s’est
instauré tranquillement, escorté par le triomphe du libéralisme économique et
l’on s’est mis à bannir tout ce qui avait porté l’idéal progressiste des masses
populaires.
Dans ce désarroi,
les économistes de gauche ne sont pas de reste. Tous leurs paradis ont disparu
et il doivent se résoudre à penser qu’il n’existe plus de modèle dont on puisse
s’inspirer. La liste est longue de ces espoirs déçus : l’URSS, Cuba, la
Chine, le Vietnam. Faut-il dès lors se résigner à penser qu’un monde de progrès
et de justice est impossible, ou pour le dire autrement utopique ? Pas nécessairement.
Tout n’est pas à jeter dans Marx ni dans l’histoire des socialismes. On a peut être
été impatient ou présomptueux en pensant que l’on pouvait imposer à l’homme de
se renouveler. On se rappelle d’el hombre
nuevo d’Ernesto Che Guevara. Le libéralisme s’il triomphe ne le fait que par
défaut. Sa chance est aussi de voir les gauches se déchirer entre elles, prétendant
chacune être plus pure que les autres. La France nous offre à cet égard un bel
exemple. A force de se diaboliser les différentes gauches créent un boulevard
pour la droite et l’extrême-droite.
Dans ces querelles des gauches, les divisions ne se retrouvent pas tant
dans le constat que dans les programmes. Tout le monde à gauche
et même à droite s’entend pour dire que le monde libéral d’aujourd’hui ne va
pas bien. Rappelons ses principaux maux : les inégalités sociales et la
concentration du pouvoir, la détérioration de l’environnement, le peu de cas
qui est fait des générations à venir, l’intolérance et le sectarisme politique
et religieux, l’instabilité économique et financière, les dégâts de la
mondialisation.
Le vrai problème réside dans la question léniniste : Que faire ? Et surtout voulons nous
faire quelque chose? Parce qu'après tout dans
ce chaos indescriptible, beaucoup se trouvent bien. Il n’y à qu’à voir
l’opposition qui se dresse dès que l’on veut toucher à tel ou tel privilège. Or
dans ce cas précis, la mondialisation n’a rien à faire ; la reforme peut
se faire dans un cadre purement national. Mais pourquoi renoncer à son petit
confort personnel s’il ne s’agit que de sauver le monde ?
(1) L’Obs, 28
avril 2016.
D'un point de vue économique, cherchant bien à tenir compte à la fois des coûts et des bénéfices, ce "monde libéral" n'a-t-il que des "maux" et en sont-ce vraiment ? Permettez-moi de reprendre humblement chacun de ceux proposés dans le billet :
RépondreSupprimer* Les libéraux pensent avec raison que le souci de réduire la pauvreté prime très largement celui de réduire les "inégalités sociales" -- et ces dernières décennies, le libéralisme économique semble bien, lorsqu'on considère l'humanité dans sa globalité, avoir conduit à atteindre le premier de ces deux objectifs, c'est-à-dire une réduction historique de la pauvreté mondiale extrême.
* Les libéraux ont toujours dénoncé la "concentration du pouvoir" et celle des décideurs publics de tout poil est, relativement à la concentration du pouvoir de nature privé issue d'échanges interindividuels volontaires, sans aucun doute la plus nocive car fondée sur la coercition des pouvoirs publics -- et, dans ce cadre, les libéraux dénoncent aussi ce qu'on appelle le "crony capitalism".
* Les libéraux conséquents n'ignorent aucunement les défaillances de marché, en particulier la plus connue qu'est la pollution ou "la détérioration de l'environnement" -- et, à l'exemple du tout dernier livre de Jean Tirole, ils proposent des solutions à celles-ci tout en insistant pour celles-ci sur le besoin de tenir compte aussi dans l'analyse de l'existence de "government failures".
* Historiquement, les libéraux ont toujours défendu et contribué à la mise en place d'une multitude de mutuelles ou sociétés mutualistes "locales" (travail, santé...) fondées sur le principe de subsidiarité auquel ils sont très attachés -- nombre d'entre elles faisaient précisément grand cas "des générations à venir" et, dans ce domaine, les libéraux dénoncent la domination coercitive de l'État providence à avoir supprimé lentement mais sûrement ces mutuelles sur la base, en prime, d'un endettement public toujours croissant et irresponsable que devront payer un jour les générations en question malgré l'immortalité économique de l'État.
* Précisément, les libéraux dénoncent avec force "l’intolérance et le sectarisme politique et religieux" si ceux-ci menacent les droits naturels des individus (protection de la vie, de la liberté et de la propriété).
* Là encore historiquement, et avec raison, les libéraux se sont toujours demandés si "l’instabilité économique et financière" n'était pas avant tout due à l'intervention publique définie au sens large, bien avant toute responsabilité d'ordre privé et ce, dans le cadre d'une dénonciation continue du "crony capitalism" par les libéraux.
* Enfin, face aux prétendus "dégâts de la mondialisation", les libéraux, qui définissent cette dernière comme le progrès de la coopération humaine entre les frontières nationales, mettent en avant ses bienfaits bien plus que compensateurs pour l'humanité, les dégâts en question leur paraissant curieux puisqu'ils supposent -- avec erreur -- qu'il y aurait une différence entre les échanges entre agents économiques d'une même nation et les échanges entre agents économiques de deux ou plusieurs nations différentes.
"Là encore historiquement, et avec raison, les libéraux se sont toujours demandés si "l’instabilité économique et financière" n'était pas avant tout due à l'intervention publique définie au sens large..."
RépondreSupprimerCela ne relève plus de l'argumentation mais de la prière.
"Là encore historiquement, et avec raison, les libéraux se sont toujours demandés si "l’instabilité économique et financière" n'était pas avant tout due à l'intervention publique définie au sens large..."
RépondreSupprimerCela ne relève plus de l'argumentation mais de la prière.