Pierre Pestieau
Dans de nombreux pays à commencer par la France et la Belgique, lors de sa création,
le système de sécurité sociale se référait au modèle familial traditionnel
selon lequel l’homme, chef de famille, subvenait aux besoins de sa femme et de
ses enfants. La femme inactive ne bénéficiait en propre d’aucun droit social,
mais seulement des droits dérivés de ceux acquis par son mari : droits à une
couverture maladie, à un supplément de retraite ou à une pension de survie.
Lorsque l’activité féminine s’est développée et que les structures familiales
ont évolué, ce modèle à été remis en cause et l’idée d’individualisation des
droits a pris de la force, entendant par là que tout individu serait doté de droits
personnels qui ne peuvent pas être affectés par leur situation familiale.
Sur le principe, l’individualisation des droits se défend au nom de
l’aspiration à l’autonomie des individus et de l’égalité entre femmes et hommes.
Elle ne poserait pas de problèmes, si l’on passait du modèle familial ancien à
un modèle d’où aurait disparu le rôle de mère au foyer permanente. Or ce n’est
pas tout à fait le cas. C’est ainsi qu’est apparue une solution hybride avec
individualisation des droits pour la fiscalité et certaines parties de la sécurité
sociale et la familialisation des droits pour d’autres parties de la sécurité
sociale et pour l’assistance sociale. Une application intégrale de
l’individualisation pénaliserait la femme au foyer surtout celle qui appartiendrait
à un ménage à bas revenu.
Le débat sur l’individualisation apparaît dans les projets d’allocation
universelle dont il a été dernièrement beaucoup question. Les impératifs d’égalité
et d’autonomie nous mènent à l’adopter mais les contraintes budgétaires
imposent parfois de garder le principe de la familialisation. Un petit exemple
illustre la difficulté de l’arbitrage entre ces deux principes. Soit une
société qui compte 1000 personnes sans ressources, 800 vivent en couple et 200
sont isolés. Le gouvernement ne peut consacrer qu’un million d’euros par mois à
ce groupe. Au nom de l’individualisation, on donnerait à chacun 1000€, avec
pour conséquence que les couples vivraient plus confortablement que les isolés
du fait des économies d’échelle. Si l’on adopte l’échelle d’équivalence standard
selon laquelle il ne faut que 50% de ressources en plus à un couple pour avoir
le même niveau de vie qu’un isolé, il serait plus équitable, pas nécessairement
plus juste, d’attribuer à chaque isolé 1250€ et à chaque couple 1875€.
L’argument selon lequel les gens isolés auraient dû anticiper les coûts supplémentaires
qu’entraînent leur condition quand ils l’ont choisie ne semble pas tenir à ce
niveau de précarité. Autre argument qui a une certaine validité, celui du
divorce stratégique. Lorsque les droits sont plus élevés pour deux isolés que
pour un couple, il est tentant de se séparer légalement tout en continuant à
vivre ensemble. Ce risque réclame un meilleur contrôle et ne devrait pas
conduire à modifier la règle de partage familiale.
Dans la plupart des
pays, il existe des minima sociaux qui couvrent différentes
situations de précarité. On a ainsi un minimum vieillesse, un minimum pour mère
célibataire, le RSA (revenu de solidarité active) ou le RMI (revenu minimum
d’insertion) qui sont tous soumis à des tests de ressources et obéissent au
principe de familialisation. Le problème est que ces prestations diffèrent pour
des raisons qui ne sont pas claires et qu’elles sont régies par des échelles
d’équivalence implicites qui ne se justifient pas. Une réforme simple conduisant
à l’harmonisation de ces minima sociaux serait souhaitable au nom de l’équité
et de la transparence.
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