lundi 29 avril 2019

L’Oréal, Vuitton, Gucci et Notre Dame

Pierre Pestieau

La communion nationale qu’a provoquée l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris a rapidement commencé à se fissurer à travers diverses controverses concernant les sommes colossales annoncées pour le coût de la reconstruction de la cathédrale. Tout est parti de la contribution des plus grandes fortunes françaises à sa reconstruction. Pour prendre trois exemples, les familles Arnault, Bettencourt et Pinault souhaitent donner plusieurs centaines de millions d’euros  à cet effet.

Les trois principaux sujets de polémique peuvent être résumés par trois phrase lapidaires : « Ces milliardaires feraient mieux de payer leurs impôts que de se faire ainsi valoir, d’autant qu’ils ne paieront qu’une infime partie des sommes annoncées ». « Pourquoi tant de générosité pour Notre Dame alors que des églises romanes et gothiques sans doute aussi estimables périssent ? » « Tout cet argent pourrait être mieux employé à résoudre les problèmes dont souffrent les gilets jaunes. ».


Dans ce blog, je me bornerai à ne traiter que de la première controverse. Elle relève d’une doctrine dont j’ai traité dans des blogs précédents (1) et qui a pour nom « conservatisme compassionnel ». Selon cette doctrine, de nombreuses missions actuellement financées par l’Etat gagneraient à l’être par des contributions volontaires. A première vue, l’idée est séduisante. Par magie, l’impôt deviendrait soudain volontaire. On contribuerait à un ensemble de domaines que l’on choisit : la lutte contre le cancer, les programmes d’aide aux pauvres et la rénovation de Notre Dame pour prendre trois exemples. Est-ce une solution viable ? Non pour deux raisons majeures. D’abord un financement par contribution volontaire est toujours sous optimal parce que chacun joue au passager clandestin : on compte sur l’autre pour voyager gratis. Ensuite, les contributions  volontaires ne couvrent pas tous les domaines. On ne contribue que pour des causes que l’on trouve intéressantes.

A ces problèmes de passager clandestin et ce manque d’universalité, s’ajoute le fait que les contributions bénéficient souvent d’importants avantages fiscaux. Ces avantages  représentent des sommes que l’Etat aurait pu employer à des objectifs davantage prioritaires. Dans le cas qui nous occupe, les contributions pourraient bénéficier d’une réduction d’impôt de 90% prévue par la loi de 2003 réservée aux « trésors nationaux ». On notera en passant que l’auteur de cette loi est Jacques Aillagon, directeur général de la collection Pinault. Pour eviter cette critique, certains contributeurs auraient renoncé à ce que leurs dons soient défiscalisés. A voir.

Mais même s’ils ne bénéficiaient d’aucun avantage fiscal, ces généreux donateurs  trompent l’opinion. Ils donnent une image de personnes désintéressées, soucieuses du bien commun, alors même que leurs activités industrielles et financières ne sont que légèrement taxées grâce aux techniques d’optimisation fiscale qu’elles pratiquent sans vergogne. La collectivité gagnerait à ce que plutôt que de contribuer à la reconstruction de Notre Dame, ils s’acquittent de leurs obligations fiscales en appliquant l’esprit et non pas nécessairement la lettre de la loi. S’ils veulent faire les deux, pourquoi pas ?


(1) Voir par exemple « Le nouvelles dames patronnesses », 6 décembre 2016.

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