Pierre Pestieau
L’expression d’excédent de mortalité
est utilisée dans des contextes fort différents. Il s’agit de mesurer le nombre
de décès qui ne se seraient pas produits en l’absence d’un événement
particulier : une pandémie, une guerre, un génocide, des pratiques
nuisibles. Chacun de ces événements provoque un excès de mortalité qu’il est
important de mesurer et dont les conséquences doivent être analysées.
Dans le cas du covid-19, cette évaluation peut prendre deux formes. La première consiste à comptabiliser le nombre de morts que l’on peut imputer chaque jour à la pandémie. C’est ce que font en Belgique le centre national de crise et le SPF Santé publique et à l’échelle de la planète le CSSE (Center for systems science and engeneering) de l’Université Johns Hopkins (1). Selon cette méthode, on compte, à la date du 13 mai 2020, 291.994 morts du covid-19 dans le monde, dont 8.761 en Belgique et 26.994 en France. Une autre méthode consiste à calculer l’excédent de mortalité observée pendant la période du covid-19 par rapport aux morts des années précédentes durant la même période. Le New York Times (2) a présenté une estimation de cet excédent, qui paraît mieux refléter l’effet de la pandémie (3) et conduit à une mortalité de 10.337 pour la Belgique et de 38.871 pour la France.
Les principales victimes du covid-17
sont les personnes âgées. En Belgique, le nombre de morts du covid-19 s’élevait
à 7.765 pour les mois de mars et d’avril. Si j’apporte la correction du New York Times, ce chiffre devrait être
rehaussé de 18%, soit 9.162. Sur base des années précédentes, on aurait dû normalement, c’est-à-dire en l’absence de
la pandémie, observer une mortalité de 15.163 personnes âgées de 67 ans et plus
durant les mois de mars et avril. Si je fais l’hypothèse que toutes les
victimes du coronavirus ont 67 ans et plus, cela implique qu’en mars et avril
le coronavirus aurait augmenté la mortalité dans ce groupe d’âge de plus de 60%,
ce qui paraît énorme. Et pourtant par rapport à la population des 67 ans et
plus, cela représente peu. En d’autres termes, l’effet du covid-19 sur le taux
de dépendance, qui impacte le financement des retraites, est négligeable.
Mais nous aurions tort de nous
plaindre. Comme le rappelle Le Monde
des 3 et 4 mars dans un dossier intitulé « Les
Milliers de Morts Invisibles du Coronavirus », la comparaison des taux
de mortalité d’une année par rapport à l’autre fait douter du nombre de morts
officiellement recensés par les autorités, et plus particulièrement dans les
pays autoritaires et pauvres. Ceux-ci minimiseraient sciemment l’impact de la
pandémie. Je prendrai un seul exemple. Avec 12.461 décès et 178.214 cas
confirmés à la date du 13 mai, le Brésil est déjà un des pays du monde les plus
touchés. Selon un collectif, appelé Observatoire Covid19BR, le nombre de
décès au Brésil serait 2 à 9 fois supérieur aux chiffres officiels, ce qui
représenterait 24.722 à 112.149 morts au 13 mai : une véritable hécatombe, qui
(si elle était confirmée) pourrait faire du Brésil un des principaux foyers actuels
du coronavirus. Un des indicateurs utilisés pour s’approcher d’une évaluation
plus réaliste est le nombre record d’enterrements dans les cimetières du pays,
qui ne colle guère avec les projections optimistes du gouvernement. A Sao
Paulo, épicentre de l’épidémie, 13 000 tombes supplémentaires ont été creusées
pour accueillir les décès liés au coronavirus.
L’objectivité m’oblige à signaler un
autre son de cloche (plutôt fêlée). Selon le New York Times (4) encore, depuis quelques jours, plusieurs voix se
font entendre, toute provenant des milieux conservateurs favorables au
président, dénoncent les chiffres officiels qui seraient gonflés à dessein pour
faire peur à l’opinion.
Quoiqu’il en soit ces chiffres,
gonflés ou pas, cachent une multitude de drames et de souffrances, qui eux ne
peuvent être mesurés. Ils cachent aussi une réalité : les inégalités
sociales d’avant la pandémie se sont creusées davantage.
Dernière remarque, parmi les six
pays les plus touchés par la pandémie, trois sont gouvernés par des
covid-sceptiques : Trump (1), Johnson (2), et Bolsonaro (6).
(1).https://gisanddata.maps.arcgis.com/apps/opsdashboard/index.html#/bda7594740fd40299423467b48e9ecf6
(2). https://www.nytimes.com/interactive/2020/04/21/world/coronavirus-missing-deaths.html?searchResultPosition=3
(3). Coefficient de correction : 1,18 pour la Belgique et 1,44 pour
la France.
(4). https://www.nytimes.com/2020/05/09/us/politics/coronavirus-death-toll-presidential-campaign.html?action=click&module=Top%20Stories&pgtype=Homepage
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire