Pierre Pestieau
Jusqu’à présent la stratégie de
Trump fonctionne relativement bien. Ses insanités sur le covid-19 amusent ses
soutiens les plus fidèles dans la mesure où ils ne sont pas touchés par la
pandémie. Les États les plus atteints sont en effet des états qui votent
démocrate. Témoins, New York, New Jersey, Maryland, Californie, … Dans la
mesure où les États rouges (aux États Unis, ce sont les républicains qui sont
rouges) commencent à être contaminés, cela pourrait changer (1).
Pour paraphraser Orwell, nous sommes
tous égaux devant la pandémie mais certains le sont plus que d’autres. Un ami m’écrivait récemment : « J’ai encore été payé €4800 en mars, en avril, et
bientôt en mai tandis que mon frère et ma belle-sœur (qui sont tous les deux
actifs dans le secteurs des événements musicaux comme indépendants) n’ont
rien touché et ne prévoient aucune activité dans un futur proche. » Avec le covid-19, on observe l’émergence d’une
série de fractures, qui nous feraient presqu’oublier celles que dénonçaient les
gilets jaunes. On parle de fracture générationnelle : on compte une
majorité de seniors parmi les victimes de la pandémie, les plus jeunes eux
paient un lourd tribut au confinement avec de lourdes pertes de revenus. Autre
fracture, la fracture numérique : dans le télétravail et l’enseignement à distance, les classes les
plus pauvres sont nettement défavorisées. Aux États Unis, on oppose les exposés
(exposed) aux planqués (remote). Ceux-ci représenteraient 37% de la force de travail. Ils font du
télétravail, et ils ont un niveau d’éducation et de revenu assez élevé (2). En
revanche les exposés rassemblent tous ceux qui courent un double risque, l’un
sanitaire et l’autre économique. Ils sont peu qualifiés et ont des jobs
précaires. Enfin, il y a la distinction que l’on fait entre secteurs
d’activités plus ou moins touchés par le covid-19. D’un côté, il y aurait les
secteurs accablés : l’automobile, la restauration/hôtellerie, les
commerces non alimentaires, l’intérim et la culture. De l’autre, il y aurait
les secteurs préservés parmi lesquels on compte la chimie, la pharmacie et
l’industrie agro-alimentaire (3).
Je lis tout et n’importe
quoi à propos de l’après-covid. Souvent en forme de bye bye. Bye bye la mondialisation,
bye bye la pollution, …Mon sentiment est que le scénario le plus vraisemblable est
que l’on reviendra au monde d’hier et que le covid-19 sera vite oublié, comme le
furent naguère les autres pandémies. Chassez le naturel, il revient
au galop. Cela paraît évident quand on entend que l’État pourrait continuer à
subventionner le Grand Prix de Francorchamps ou secourir Brussels Airlines,
deux activités dont on ne peut pas dire qu’elles contribuent à sauver la planète.
Dans les opposants au confinement, coexistent des
gens très différents. On a au premier plan ceux-là qui aux États Unis
manifestent l’arme à la main leur opposition au confinement. Ils misent sur « l'immunité collective », sacrifiant
sciemment leurs habitants les plus vulnérables. Au nom des lois de l'évolution, ils
veulent une société compétitive où chacun lutte pour son existence, les moins
aptes devant disparaître pour le bien de notre espèce.
Cette position soutenue par Bolsonaro, Trump et
dans une moindre mesure par Johnson, s’inscrit nettement à droite. On compte
aussi une mouvance que l’on pourrait qualifier de conspirationniste beaucoup moins marquée à droite. Le confinement serait une construction mentale qui
permettrait d’empiéter sur les libertés individuelles, et d’enrichir notamment
les firmes pharmaceutiques.
Une question qui commence à être débattue
est celle de l’impact de la pandémie sur les inégalités. A première vue, on pense
qu’elles pourraient croître. Ce sera certainement le cas dans le court terme. On
entend cependant un autre son de cloche qui voudrait qu’à terme la pandémie réduise
les inégalités comme ce fut le cas lors des guerres et des crises économiques. Rappelons
l’analyse de Piketty qui montre que, de 1910 à 1970, la concentration de la
richesse s’est fortement réduite en Europe. Il y a deux causes majeures à ce
phénomène. Le retour en grâce de l’État providence et les pertes financières
encourues par une partie des détenteurs de la richesse nationale (4).
Les économistes n’ont pas prévu la
pandémie. On aurait tort de le leur reprocher. En revanche, depuis deux mois
ils se sont déchainés pour disséquer l’incidence économique qu’elle pourra
avoir. Dans la liste des documents de travail des centres de recherche les plus
en vue (CEPR, NBER, IZA, CESIFO), on en dénombre plus de la moitié consacrés à
la pandémie. Certaines de ces recherches peuvent paraître précipitées. Ne
faudrait-il pas attendre le baisser de rideau qu’on espère aussi proche que
possible ?
(2). https://www.nytimes.com/2020/05/15/opinion/coronavirus-2020-election.html?searchResultPosition=2
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