Pierre Pestieau
Le covid-19 nous a infligé une
double peine : les morts d’une part, les pertes de revenus et destructions
d’emplois d’autre part. En reportant le confinement, on réduit la première mais
on alourdit la seconde. La décision de ne pas confiner ou de déconfiner implique
un arbitrage entre limiter le nombre de morts et maintenir à flot l’emploi et
les revenus. Dans un article paru dans le New
York Times du 28 mai (1), Paul
Krugman, professeur à l’Université de Columbia, discute de cet arbitrage en
utilisant la valeur de la vie humaine à laquelle les pouvoirs publics recourent
régulièrement dans leur politiques d’infrastructure des transports et de
protection de l’environnement. Aux États-Unis, ces politiques sont guidées par le
concept de valeur d'une vie statistique. Les estimations actuelles sont
d'environ 10 millions de dollars pour une vie moyenne.
Dans la mesure où les décès de
Covid-19 ont été concentrés chez les plus âgés, dont l’espérance de vie est évidemment
inférieure à l’espérance de vie moyenne, Krugman suggère d’attribuer à leur vie
une valeur de 5 millions de dollars. Si le confinement avait était imposé une
semaine plus tôt aux États Unis, cela aurait permis de sauver 36.000 vies. Un calcul rapide suggère que le gain
monétaire de ce confinement anticipé aurait représenté au moins cinq fois le
coût de la perte de PIB. Cette conclusion amène Krugman à se demander pourquoi le
pays se précipite tant pour déconfiner.
Le raisonnement est simple :
reportons le déconfinement et nous perdons de l'argent ; déconfinons prématurément et nous risquons une deuxième
vague qui non seulement tuerait de nombreux Américains, mais forcerait
probablement un reconfinement encore plus coûteux. Krugman s’étonne que
l'administration Trump n'essaie pas de justifier sa volonté de réouverture en
termes d'une analyse des coûts et des avantages. D’après lui, cette
administration ne croit pas en ce type d’analyse. Interrogé sur cette étude de
Krugman, qui suggère qu'une action antérieure aurait sauvé de nombreuses vies,
Trump aurait répondu que « Columbia est une institution libérale et
honteuse ».
Une étude du FMI (2) confirme le
point de vue de Krugman en évaluant, pour une série de pays, le gain en vies
humaines qu’a entraîné le confinement. En Nouvelle Zélande par exemple, le
nombre de morts aurait été 10 fois plus élevé si le pays n’avait pas adopté une
politique stricte. La plupart des pays ont été plus prudents en confinant plus
tôt que les Américains et en déconfinant plus tard. Je doute que ces décisions sont
basées sur la méthodologie de Krugman,
en tout cas pas explicitement. Elles semblaient en tout cas animées par un plus
grand respect de la vie.
Même si la quasi-totalité des victimes
du covid-19 sont des seniors, il serait erroné d’affirmer que ce sont eux qui
ont le plus souffert de la pandémie. Dans un
article du Monde du 30 mai (3), Lena
Konc reformule cet arbitrage entre santé et économie pour en faire un arbitrage
générationnel. Pour elle, opter pour ou contre le confinement revient à « se
positionner pour la sauvegarde du système sanitaire, et a fortiori la
limitation de la mortalité des populations plus âgées, ou mitiger des risques
économiques affectant en priorité les plus jeunes, par une stratégie dite de
l’immunité collective ». Il semblerait, qu’à la différence de la plupart des
Européens, les Américains ont donné la priorité aux générations les plus jeunes
et à la sauvegarde de leur qualité de vie, au nom d’une idéologie où la liberté
et la responsabilité l’emportent sur les droits sociaux.
L’avenir nous dira ce que
cet arbitrage donnera. Il se pourrait que finalement les Américains subissent
une double peine : une forte récession et une choquante surmortalité des seniors.
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