Pierre Pestieau
Mon blog précédent s’intitulait « La bourse ou la vie ».
Celui-ci porte sur un dilemme qui n’est guère plus joyeux. Depuis quelques
décennies, nos sociétés connaissent un indéfinissable malaise qui se retrouve
surtout dans ce qu’on appelle la classe moyenne inférieure. Ceux-là mêmes dont
les revenus se situent grosso modo entre le seuil de pauvreté et le revenu moyen.
Les causes de ce malaise sont multiples. Parmi les principales, on peut
citer : l’absence prolongée de croissance des revenus, combinée à une forte
concentration de la richesse; un système éducatif inégalitaire empêchant ainsi
toute ascension sociale; l'externalisation de «bons» emplois en Chine et dans
d'autres économies émergentes; l'évolution technologique qui a rendu superflus
de nombreux emplois de «classe moyenne».
Comment
expliquer ces surdoses de drogues, légales ou non, ces suicides et cet
alcoolisme concentrés que l’on trouve dans une catégorie sociale particulière ?
Selon Case et Deaton, l’explication
n’est pas à trouver dans une plus grande disponibilité des drogues de toutes sortes,
en particulier les opioïdes, ni dans l’évolution des revenus. Pour eux, la
cause majeure réside dans le manque de perspectives dont souffrent les petits
blancs américains : perspectives de réussite scolaire, de promotion professionnelle,
de logement décent et d’accès à une médecine de qualité.
Ils
observent que la mort par désespoir est spécifique aux États Unis. Dans une série
de pays pour lesquelles les données sont disponibles, ces formes plus ou moins explicites de suicide
ne semblent pas avoir augmenté pendant cette période. Or, comme je l’ai développé
dans quelques blogs (3), la plupart de ces pays ont aussi connu une panne de l’ascenseur
social. Prenons le cas de la France, le taux de mortalité par suicide, alcool
et drogues a diminué au cours des deux dernières décennies alors que la classe
moyenne y semble aussi souffrir d’un sentiment aigu de déclassement et d’un
manque de perspective. Ce qui a entrainé le vote populiste et le mouvement des
gilets jaune. Il semblerait que la classe moyenne inférieure y ait choisi des
formes moins extrêmes que la mort pour exprimer son malaise. Ce qui, soit dit
en passant, n’a pas empêché les petits blancs américains de voter pour Donald Trump.
Il se
pourrait que les Américains bien plus que les Européens ont cru à ce qu’on
appelle le rêve américain. Rappelons que selon l’American Dream n'importe quelle personne vivant aux États-Unis, par son travail,
son courage et sa détermination, peut devenir prospère. Se rendre compte que ce
rêve n’est qu’une fable conduit certains Américains à ne plus accepter la vie
qui leur est offerte. Le désespoir du paradis perdu.
(1). Anne Case et Angus Deaton
(2020) Deaths of Despair and the
Future of Capitalism, Princeton
University Press.
(3). Voir par exemple : http://the-bing-bang-blog.blogspot.com/2019/06/repenser-la-gauche-inegalites-precarite.html
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