Victor Ginsburgh (Professeur em. d’économie à l’ULB),
Pierre Pestieau (Professeur em. d’économie à l’ULG), Serge Wibaut (Professeur invité
d’économie à l’UCL)
La pandémie du Covid-19 est en train de provoquer une crise
économique sans précédent, qui n’aurait d’égale que celle des années 30. On la
compare à cette crise mais aussi à la guerre. Non seulement elle conduit à une
baisse sensible du PIB mais elle a de lourdes implications distributives en
appauvrissant une fraction de la population qui ne peut pas travailler et perd
parfois son emploi, alors que l’autre fraction continue de toucher un revenu
stable et, ironiquement, s’enrichit en
consommant moins.
Par ailleurs, cette crise exerce une pression énorme
sur le budget du gouvernement à la suite des multiples programmes de soutien de
l’activité et du paiement de revenus de remplacement. La plupart des organismes
économiques (Commission européenne, Banque Nationale de Belgique, Bureau du
Plan et OCDE, etc.) tablent sur une augmentation de le dette publique d’environ
15 pourcent en 2020 et ceci est sans doute optimiste car ces estimations
tablent sur une reprise vigoureuse en fin d’année. Il n’en demeure pas moins
que certains secteurs parmi les plus touchés pourraient ne pas se remettre
avant longtemps. On songe entre autres à la culture, au tourisme, aux
transports aériens.
Il ne fait aucun doute qu'il faut trouver des sources
de revenus supplémentaires. Trois solutions sont généralement envisagées:
imprimer de la monnaie, faire appel à l’emprunt public et recourir à l’impôt.
L'impression de monnaie n'est, du moins dans le cadre
des statuts actuels de la Banque Centrale Européenne (BCE), pas possible dans
le cadre européen. Il est pratiquement certain cependant que la BCE tentera d’une
manière ou d’une autre de monétariser les dettes les États européens mais il serait
illusoire de croire qu’elle sera en mesure de prendre à sa charge tout le coût
de la crise.
Restent donc la dette publique et la taxation. Le recours
à la dette publique est la solution traditionnelle en cas de guerre ou de crise
financière. C’est une pratique qui a d’ailleurs été formalisée par les
économistes au nom de l’équité intergénérationnelle. La dette joue le rôle
d’assurance en ponctionnant les revenus durant plusieurs générations. C'est
l’idée de lissage des revenus. En 1945, il paraissait évident que les
générations à venir devraient assumer une partie du coût de la guerre. On a
ainsi assisté à une forte hausse de la dette publique et à l’instauration de
retraites par répartition, qui représentent aussi un emprunt sur le futur.
Malheureusement, aujourd'hui, la dette publique à la
fois explicite et implicite est déjà élevée. Globalement, la dette implicite
représenterait plus de deux fois le PIB. Et ce ratio n’incorpore pas la dette
environnementale ni les demandes de revalorisation salariale de certaines
professions (par exemple, le personnel soignant dans les hôpitaux et les
maisons de repos) qui ne manqueront pas de se manifester après la crise.
Par ailleurs, la pandémie a confirmé
l’importance d’une sécurité sociale performante. L’assurance santé et
l’assurance chômage permettent à la majorité des Belges de traverser cette
crise sans trop de dommages. Il est crucial que le financement de la sécurité
sociale soit assuré à l’avenir et que les gouvernements futurs ne soient pas
tentés de sabrer dans les dépenses de santé et de chômage pour résorber le
déficit public.
Cette lourde dette s’inscrit également dans un
contexte de croissance structurellement faible du fait de gains de productivité
bas et du vieillissement de la population. On objectera certes qu’aujourd’hui
les taux d’intérêt auxquels la Belgique peut emprunter sont fort bas. Il n’en
demeure cependant pas moins que notre pays est lourdement endetté et fortement
exposé à une hausse des taux ou à un manque de confiance de la part des
investisseurs.
Il importe donc de trouver des sources
alternatives de financement de l’action publique qui ne reposent pas sur le
seul facteur travail ou sur un endettement faisant peser une trop lourde charge
ou un risque exagéré sur les générations futures.
La taxe idéale devrait être telle qu'elle ne réduise
pas la demande globale, qu’elle soit
aussi efficace que possible et qu’elle soit équitable au niveau
intra-générationnel. L'impôt sur le revenu ou la consommation n'ont pas ces
propriétés. En particulier, une augmentation du taux de la taxe à la
consommation ferait baisser la demande globale, serait injuste pour la plupart
des victimes de la pandémie et entraînerait de lourdes inefficacités. Une
augmentation de l’impôt sur les revenus serait moins régressive mais
n’atteindrait pas ceux qui ont le moins souffert du Covid-19. En outre, elle
aurait un impact désastreux sur les incitations au travail et sur la compétitivité à l’exportation
(encore que tous les pays sont sans doute dans le même marasme.
Il n’est donc pas étonnant que l’idée d’une
taxe ponctuelle sur le capital (an anglais a capital levy ou an on-off tax on
wealth) ait parfois suscité un débat animé, notamment au sortir d’une guerre,
où l’on s’efforce par tous les moyens de réduire des niveaux élevés
d’endettement — aussi bien du côté des vainqueurs (la Grande-Bretagne
après les Guerres napoléoniennes et la Première guerre mondiale, par exemple)
que des perdants (l’Allemagne après la Première guerre mondiale et le Japon
après la Deuxième guerre mondiale). Cette taxe a d’ailleurs parfois été mise en
œuvre.
Pour l’économiste, c’est la taxe idéale car il est impossible
d’en réduire l’assiette ou de frauder : bref, il s’agit d’une fiscalité
exempte de distorsions et d’effets désincitatifs. Par rapport aux alternatives telles
que la taxation des revenus ou la TVA, elle a en outre l’avantage d’être plus
redistributive. En effet , elle touche des catégories de citoyens qui ont
beaucoup moins (ou même pas du tout) souffert de la pandémie, en particulier
les détenteurs de patrimoines importants. Finalement son effet sur la demande
globale est certainement moins déflationniste que ses deux rivales. Ce n’est
par hasard qu’elle a eu des avocats célèbres dont Pigou, Ricardo et
Schumpeter.
Il faut cependant reconnaître à cette taxe un défaut
majeur. En effet, son adoption et sa mise en application peut
ne pas être aussi rapide qu’on le
voudrait et les gouvernements peuvent rarement le faire dans le secret le plus
absolu (même en faisant abstraction des questions de transparence). Cela laisse
un certain temps pour placer les avoirs à l’étranger, les dépenser ou les
cacher. En outre même s’il s’agit d’un impôt ponctuel, le risque qu’il se
répète peut exercer un effet dissuasif sur l’épargne et l’investissement,
sources de futurs avoirs en capital. En outre l’absence dans notre pays d’un
cadastre des fortunes pourrait amener à prendre des mesures inégalitaires ou
ratant leur cible.
Une solution alternative à l’impôt sur la fortune
serait de mettre fin à certains avantages fiscaux dont bénéficient les revenus
du capital et d’instaurer une cotisation de solidarité sur les hauts revenus,
et limitée dans le temps.
Parmi les avantages fiscaux qui devraient être
supprimés dans notre pays figure le régime extrêmement favorable caractérisant la (non-)taxation des
plus-values et des loyers. Dans ces deux cas, la Belgique fait pratiquement
figure d’exception en Europe.
Ces mécanismes font fréquemment l’objet de remises en
question par divers partis politiques qui se heurtent à la puissance de
certains lobbies. Mais la vérité des chiffres est cruelle : on estime
généralement que les loyers réels sont quatre fois plus élevés que le revenu cadastral
servant de base au précompte immobilier. Par ailleurs, selon une étude de 2007,
il apparaît qu’environ 80 pourcent des biens loués en Région bruxelloise
appartiennent à des multipropriétaires, mettant ainsi à mal l’image du petit
propriétaire arrondissant ses fins de mois.
Par ailleurs, il devient crucial de taxer les sociétés
et les structures qui jusqu’à présent ont échappé à l’impôt profitant de niches
ou de dispositions fiscales favorables. En première ligne figurent ici et
évidemment les sociétés du numérique dont les plus connues (les GAFA)
bénéficient d’un taux d’imposition négligeable sur les bénéfices. En France, on
estime que ce taux est de 9 pourcent
alors qu’il est de 23 pourcent en
moyenne pour une entreprise « classique ».
A défaut de pouvoir instaurer aisément une taxe sur la
fortune, il semblerait équitable d’instaurer un impôt de solidarité à caractère
temporaire sur les hauts revenus. Les bénéficiaires de tels revenus ont
relativement moins souffert de la crise que les détenteurs d’un bas salaire et
il ne serait que juste qu’ils contribuent plus que proportionnellement au
financement des mesures de soutien à l’économie adoptées par les autorités
publiques.
La crise que nous connaissons actuellement fournit une
occasion sans précédent pour prendre des mesures qui amélioreraient tant
l’efficacité que l’équité de notre système fiscal. Il suffit de cinq minutes de
courage politique comme disait quelqu’un…
[Le teste a été publié le 28 mai 2020 dans La Libre]
[Le teste a été publié le 28 mai 2020 dans La Libre]
Que pensez-vous de la micro-taxe sur les transaction électronique, que préconise l'économiste Marc Cheney. Ne serait-ce pas une opportunité par les temps qui courent. Dans le même direction, des cotisations patronales calculées non plus sur le salaire mais le chiffre d'affaires destinées à refinancer non seulement l'ONSS, mais également l'Inasti
RépondreSupprimerNous avons beaucoup moins consommé depuis 3 mois (ni cinéma, ni théâtre, ni bistro, ni..ni..). A tel point que le montant global de l'épargne sur les livrets belges n'a jamais été aussi élevé (ai-je entendu).
RépondreSupprimerPourquoi ne pas imaginer un emprunt d'Etat et encourager les Belges à y investir, à charge pour ce même Etat de consacrer les fonds à des activités d'intérêt public (travaux à impact écologique, refinancement de la sécurité sociale, révision de la politique salariale des catégories de personnel qui ont pu démontré le caractère indispensable de leur présence pour notre survie, etc) ?
Le Ministre Leterme n'avait-il lancé un tel emprunt au moment de la crise bancaire ?