jeudi 8 février 2024

Deeds 

Pierre Pestieau 

J’ai récemment revu l’excellente comédie de Frank Capra, L'Extravagant Mr. Deeds  (Mr. Deeds Goes to Town). Certes, ce film de 1936 date; mais il se laisse encore regarder. 

C’est une histoire qui rappelle l’Amérique que l’on aime. Un jeune homme simple, Longfellow Deeds, doit se rendre à New York pour toucher un héritage important et inattendu. A son arrivée, il devient la cible d'avocats véreux convoitant sa fortune, et de journalistes peu scrupuleux. Il décide de distribuer son immense fortune aux pauvres et aux chômeurs qui sont légion en ces années de crise.

Je me suis demandé ce qu’une personne bien comme ce Mr. Deeds devrait faire à l’époque actuelle. Le film laisse entendre que son héritage comprend de nombreux investissements qui sont loin d’être éthiques. Je vois quatre stratégies. La première est celle qu’il veut suivre, à savoir liquider son héritage et le distribuer aux déshérités. Quelle que soit la règle de distribution, il ne pourra aider qu’une infime minorité de ces victimes de la crise et de ce fait créer beaucoup de ressentiment. 

Une deuxième stratégie consisterait à restructurer son patrimoine de façon à ce qu’il soit investi dans des fonds ou des activités totalement éthiques. Dans ce cas, il est vraisemblable que les rendements soient moins élevés. Il lui resterait à distribuer les revenus de ces investissements aux plus déshérités. 

Une troisième stratégie serait de jouer le jeu capitaliste pur et dur : rendements maximaux et recours à l’ingénierie fiscale. Cela devrait conduire à des revenus supérieurs à ceux auxquels conduirait la deuxième stratégie. Du coup, il y aurait davantage de ressources à distribuer aux damnés de cette terre.  

Une quatrième stratégie, plus originale, serait d’utiliser ce patrimoine pour financer un parti politique dont on sait avec certitude qu’il a des chances d’accéder au pouvoir et d’œuvrer en faveur de programmes sociaux et économiques censés aider les plus démunis et sauver notre planète. Bien sûr, il faut espérer qu’un tel parti existe. 

Si cette condition pouvait être remplie, j’opterais pour ma part pour cette dernière stratégie. Il faut en effet se rappeler qu’une politique sociale ou culturelle, quelle qu’elle soit, qui serait fondée sur des donations ou des contributions volontaires n’aura jamais l’ampleur et la générosité qu’elle aurait si elle était menée par l’État et financée sur l’impôt. Le recours aux contributions volontaires se heurte au phénomène du passager clandestin : même le plus altruiste des individus comptera sur la contribution des autres pour minorer la sienne. C’est la critique qui a été adressée aux États Unis au conservatisme compassionnel, cette philosophie politique  qui consiste surtout à soutenir les activités charitables des associations religieuses pour progressivement remplacer l’État providence dans la lutte contre la pauvreté et les inégalités. Cette approche défendue par George Bush lors de son élection en 2001 a fait long feu. 


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