Pierre Pestieau
Les pays nordiques arrivent systématiquement en tête des pays les plus heureux à travers le monde que ce soit selon des critères objectifs ou subjectifs. Par exemple, le World Happiness Report se base sur des critères beaucoup plus objectifs que la réponse à la simple question « Sur l’échelle de 1 à 10, où vous situez vous en terme de bonheur ? ». Le bonheur y est estimé en fonction de six facteurs : le PIB, l'espérance de vie, la générosité, le soutien social, la liberté et la corruption. Depuis des décennies, le Danemark arrivait systématiquement en tête du rapport.
Cet indicateur multicritère du World Happiness Report peut être critiqué. En effet, il semble davantage mesurer la qualité de l’État providence que le bonheur perçu, qui demeure un concept éminemment subjectif et qui est mieux appréhendé par une simple question. Quoiqu’il en soit les pays scandinaves sont les premiers quelle que soit la mesure, subjective ou objective, que l’on adopte.
Pour expliquer ce bonheur nordique, que l’émergence du populisme pourrait mettre à mal, on tend à puiser dans le vieil héritage luthérien et dans la loi de Jante (un code de conduite social basé sur la modestie) pour expliquer l'origine du bonheur scandinave. A l'origine de cette félicité nordique fantasmée, on trouverait une façon particulière de penser qui consiste à se répéter : "Tu ne dois pas te croire spécial ; tu ne dois pas t'imaginer meilleur que les autres ; tu ne dois pas te croire bon en quoi que ce soit". C’est là une éthique qui contraste avec la philosophie américaine axée sur la méritocratie et l'accumulation de richesses comme symbole de réussite. Cette éthique est aussi fort différente de celle qui règne dans des pays comme la France ou l’Italie, dont les ressortissants, qui n’ont de cesse de râler à propos de tout et de rien, se disent malheureux.
Mais peut-on comparer les pays selon leur niveau de bonheur ? Peut-on dire que les Danois sont beaucoup plus heureux que les Français ou les Italiens alors qu’ils passent leurs vacances en France ou en Italie ? Richard Easterlin (1), le père de l’ « économie du bonheur » ne le pensait pas. Pour comprendre pourquoi il n'est pas toujours judicieux de comparer le bonheur d'un pays à l'autre, il faut tenir compte de plusieurs facteurs.
Tout d’abord, les différentes cultures ont des manières différentes d'exprimer et d'interpréter le bonheur. Par exemple, dans certaines cultures, le bonheur est souvent associé à la paix et à l'harmonie sociale, tandis que dans d'autres, il peut être plus étroitement lié à l'accomplissement personnel et aux droits individuels. Ces nuances culturelles peuvent avoir un impact significatif sur la manière dont le bonheur est rapporté et perçu. Ce qui constitue le bonheur dans un pays peut ne pas avoir la même signification dans un autre, ce qui rend les comparaisons directes difficiles.
Ensuite, les enquêtes et les études utilisent des méthodologies différentes pour mesurer le bonheur, ce qui peut affecter les résultats. Des facteurs tels que la formulation des questions, le support de l'enquête (en ligne, en face à face, etc.) et le moment de l'enquête peuvent influencer la manière dont les gens répondent. Un biais de réponse peut se produire si les personnes de certaines cultures sont plus enclines à faire état d'émotions positives ou plus réticentes à admettre leur malheur. En outre, les méthodes d'échantillonnage peuvent varier et si l'échantillon n'est pas vraiment représentatif de la population d'un pays, cela peut fausser le résultat.
En outre, les conditions économiques, la stabilité politique et les normes sociales influencent grandement les niveaux de bonheur. Comparer des pays dont les contextes sont très différents, peut être trompeur, car cela risque de négliger l'interaction complexe des facteurs qui contribuent au bien-être.
Enfin, la traduction des questions d'une enquête d'une langue à l'autre peut entraîner une perte de nuances ou une légère modification du sens, ce qui peut affecter la manière dont les questions sont comprises et les réponses données.
Voilà autant de raisons pour nous amener à la prudence quand on compare le niveau de bonheur d’un pays à l’autre.
(1). Richard Easterlin, né en 1926, est un économiste américain professeur à l’Université de Californie du Sud.
J'ai beaucoup apprécié cet exposé. Michel M?
RépondreSupprimerLe jour où les Français ne râleront plus, c'est qu'il n'y en aura plus !
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