Pierre Pestieau
Etant moi-même économiste, je parlerai d’économie. Mais mon propos qui porte sur l’excellence et la réputation peut s’appliquer à toute discipline scientifique ou artistique, voire sportive, encore que dans le sport l’excellence est plus aisément quantifiable. On a beaucoup glosé à propos de Giscard d’Estaing lorsqu’il qualifia en 1976 Raymond Barre de “meilleur économiste de France”. A cette époque, des économistes comme Gérard Debreu, Marcel Boiteux ou Maurice Allais étaient certainement scientifiquement meilleurs que celui qui devait succéder à Chirac comme premier ministre. Récemment un ami proposait à des éditeurs parisiens un projet de livre dont il aurait dirigé la publication. On lui répondit que pour que l’idée soit intéressante il faudrait un directeur de publication davantage réputé, tel que Jacques Attali ou Alain Minc. Ici aussi sur le plan scientifique ni l’un ni l’autre de ces auteurs par ailleurs prolixes et introduits ne font le poids.
L’écart entre excellence et réputation se manifeste tout particulièrement dans le milieu intellectuel français à propos des philosophes. Les philosophes médiatiques qui ont nom BHL, Badiou ou Finkelkraut voire Onfray sont souvent regardés de haut et sans doute jalousés par les philosophes universitaires qui leur trouvent plus de bagout que d’originalité.
Mais pourquoi cet écart ? Il est en grande partie dû à l’inaccessibilité du message du scientifique universitaire. Cette inaccessibilité est souvent inévitable. Elle est intrinsèque à la plupart des recherches. Toute recherche réclame des traducteurs, des vulgarisateurs. Je préfère utiliser le terme de passeurs d’idées, des gens qui réussissent à mettre à la portée du grand public les résultats de travaux à priori hermétiques.
D’une certaine manière, les auteurs cités ci-dessus ont parfois pu jouer ce rôle. Raymond Barre a parfois su expliquer l’économie à ses étudiants puis à la France entière avec clarté et rigueur. Attali et Minc ont, quand ils s’y appliquaient, pu rendre certaines problématiques économiques compréhensibles. Il demeure que les bons passeurs d’idées sont rares dans le monde francophone. Par comparaison, dans le monde anglophone, il en existe d’excellents qui le sont devenus après avoir été d’excellents scientifiques. On songe notamment à Paul Krugman et à Jo Stiglitz. Plus à droite, on peut citer Gary Becker et Marty Feldstein (1). Une raison pour cette rareté est sans doute que le débat est encore dominé par ce que l’on qualifie parfois d’hétérodoxie, une pensée unique qui s’inscrit dans les traditions marxiste et institutionnelle. Cette pensée rejette l’économie orthodoxe que récompense régulièrement le Comité Nobel. Autre raison, la taille du marché.
Une note d’optimisme cependant. Depuis quelques années, des économistes comme Daniel Cohen, Thomas Piketty, Thomas Philippon, Esther Duflo publient des livres ‘grand public’ d’excellente facture et occupent une tribune mensuelle dans certains quotidiens français (2).
(1) Citons l’excellent blog ‘chicagolais’ de Gary Becker et Richard Posner : http://www.becker-posner-blog.com/. Ce blog a entraine la création de http://www.anti-becker-posner.blogspot.com/.
(2) Par exemple, le mardi dans Libération.
Merci à tous les deux pour vos billets stimulants.
RépondreSupprimerPetite remarque à propos des philosophes. Mettre "BHL, Badiou ou Finkelkraut voire Onfray" sur le même plan est un peu léger. BHL n'a jamais produit de philosophie à proprement parler, c'est tout au plus un mauvais journaliste et un mondain. Finkelkraut fut à une certaine époque un penseur assez brillant et plutôt de gauche avant de virer et de devenir le "penseur couché" médiatique que l'on connait et plutôt de droite. Onfray n'est pas un philosophe mais un historien de la philosophie, peut-être un peu superficiel mais enthousiasmant pour les néophytes, il a en plus le mérite d'avoir fondé l'Université populaire de Caen, ouverte à toutes et tous. Par contre, on se demande ce que vient faire Badiou dans le quatuor, car c'est de loin celui qui a produit l'œuvre philosophique la plus sérieuse, tout en écrivant un peu de vulgarisation politique sur le côté, ce qui comme pour Chomsky linguiste, l'a rendu très connu. Badiou est un excellent philosophe.
Bonne continuation. Baruch