vendredi 11 novembre 2011

Perception et réalité

Pierre Pestieau

Lors d’un récent voyage en Colombie (1), j’ai recueilli des impressions très contrastées. D’abord, un sentiment de sécurité amplifié par les propos de mes amis colombiens sur le rôle de l’ancien président Uribe, un autocrate dont le mérite aurait été d’avoir réduit la violence, et le sentiment qu’avec la drogue, la violence se serait déplacée de la Colombie au Mexique. Au cours de mon séjour, je reconnais que je ne me suis jamais senti en danger; il est vrai que j’étais toujours accompagné. A côté ou plutôt avec la violence, on ne peut qu’être frappé par la prégnance de la drogue. Vous voyez une rutilante BMW avec chauffeur et vitres teintées. C’est la drogue. Un restaurant dont les tarifs donneraient envie à des établissements étoilés ne peut être fréquenté que par les narcotrafiquants. Un nouvel hôtel 5 étoiles ne peut que sentir la coca.

Qu’en est-il en réalité ? La Colombie est-elle violente ? D'après un récent rapport intitulé Fardeau mondial de la violence armée (2), il apparaît que la plupart des pays touchés par les morts violentes ne sont pas en guerre. Le Salvador, avec plus de 60 morts pour 100.000 habitants, détient la palme. Il est suivi par l'Irak, la Jamaïque, le Honduras, la Colombie, le Venezuela, le Guatemala et le Brésil. Le Mexique n’appartient pas au peloton de tête avec un taux national de 18,4 morts violentes pour 100.000 habitants, mais un taux de 170,4 à Ciudad Juarez, soit 20 fois le taux mondial (3). Le rapport révèle que l'Amérique latine est la région la plus violente au monde. La violence fait des ravages particulièrement dans six pays (Salvador, Honduras, Colombie, Venezuela, Guatemala et Belize). Il existe un lien entre le niveau d'homicides dans la population, le sous-développement, les inégalités de revenus et la faiblesse de l'Etat de droit. Mais cela ne suffit pas, sinon l’Afrique serait le continent le plus violent. L’histoire et les traditions jouent donc aussi un rôle important.

Et la drogue ? Voilà près de 30 ans que la Colombie est perçue comme le « pays de la drogue ». Le pays est à la fois le premier producteur et raffineur mondial de coca (4), et le premier exportateur de cocaïne. L’économie de la drogue pose le problème du narcotrafic illégal, et celui d’un Etat légal qui lutte contre ce commerce. Elle résulte d’un mélange complexe de questions politiques, économiques, sociales, environnementales, juridiques, géopolitiques, etc. De plus, elle s'inscrit dans le cadre d’un pays victime de nombreuses tensions internes (conflit, faiblesse de l'Etat vis-à-vis des contrôles territoriaux, contre-pouvoirs internes etc.). Ceci étant, on a parfois l’impression que la drogue a bon dos et qu’on lui impute une importance qu’elle n’a pas nécessairement. Quelle est l’importance de la drogue dans l’économie colombienne? En interrogeant plusieurs économistes, je suis arrivé à une fourchette de 3-5% du PIB. Ce qui est beaucoup et peu. Trop peu en tout cas pour en voir la présence à tous les coins de rue.


(1) Pays passionnant et attachant que m’a fait aimer il y a près de cinquante ans mon ami Bernardo Garcia auquel je dédie ce blog. C’était dans la Casa Colombiana, sise Muntstraat à Leuven. Bernardo est depuis ce temps resté fidèle à ses convictions et à ses engagements. C’est assez rare pour être souligné.

(2) http://www.genevadeclaration.org/fileadmin/docs/GBAV2/GBAV2011-Ex-summary-FRE.pdf

(3) Ce qui montre qu’ici plus qu’ailleurs, il faut se méfier des moyennes nationales.

(4) Le Pérou lui disputerait le titre pour la culture et le Mexique pour le raffinage.

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