Victor Ginsburgh
La SABAM (Société Belge des Auteurs, Compositeurs et Editeurs) ne recule devant rien et fait flèche de tout bois, que ce soit illégal ou légal.
La dernière histoire vient de m’être racontée par Charlotte M. qui s’occupe d’un orchestre dans le Brabant wallon. Elle a reçu il y a quelque temps une facture de la SABAM lui demandant de payer 8000 € de droits d’auteur pour des œuvres produites mais qui n’avaient pas encore été déposées auprès d’une société d’auteurs. Article 21 de ladite SABAM (1) : les œuvres non déposées ne donnent pas lieu a perception. La justice a été saisie de la question et le jugement qui vient d’avoir lieu a évidemment donné tort à la SABAM.
Il y a quelques mois, la SABAM a longuement expliqué qu’elle allait faire un geste et ne pas demander de droits d’auteur aux organisateurs du concert qui a été annulé suite aux intempéries et aux morts au Pukkelpop (2). Générosité ? Non, mensonge, parce que s’il n’y a pas de concert, il n’y a pas de « communication au public » des œuvres protégées, donc la SABAM n’a aucun droit de collecter des droits d’auteurs. Merci C.K.
Dans la vidéo édifiante qui suit, la SABAM est montrée facturant, début 2011, des droits d’auteurs pour rémunérer plusieurs groupes qui n’existent pas :
Certains autres actes de la société ont été suivis d’inculpations pour fraude en 2007 (3), à des soupçons de fraude en 2005 (4), à des critiques du gouvernement sur l’opacité de sa gestion en 2002 (5), à une condamnation pour abus de position dominante dans sa politique de prix en 2001 (6), etc. L’imagination est au pouvoir et il faut lui reconnaître qu’elle essaie de s’en sortir par tous les moyens dans lesquels l’illégalité et le mensonge triomphent.
Mais la société n’hésite pas non plus à utiliser des moyens « légaux », dont un appel au secours adressé aux hommes politiques. En cause, non, pas comme vous pourriez le penser, le « pillage » par ces pirates d’internautes (7). Cette fois, c’est la faute des fournisseurs d’accès à l’internet (8). En effet, selon le directeur général de la SABAM « on assiste année après année à une dégringolade de notre chiffre d'affaires et elle est quasiment exclusivement due au fait que les CD ne se vendent plus (…) nous ne percevons plus de droits sur les CD et nous en appelons constamment à une action au niveau politique, au niveau législatif pour essayer de contrer ce gros problème. (…) Nous considérons que les fournisseurs d'accès sont devenus les nouveaux distributeurs de musique. Ils se sont emparés d'un marché qui était, avant, une distribution matérielle de supports (…) et donc nous pensons qu'effectivement ils posent un acte qui est soumis aux droits d'auteurs ». Au secours !
La SABAM se prend pour une entreprise qui peut faire appel au politique et au législateur dès que son chiffre d’affaires et ses profits diminuent. En 2010, près de 10.000 entreprises belges ont fait faillite. Ont-elles pu faire appel à l’aide de l’Etat ? Les situations changent, et quand on ne s’adapte pas aux situations parce qu’on est protégé par la position de monopole sous laquelle on s’abrite, on risque en effet de finir mal. Il est facile de mendier quand on a mal prévu, mal géré, été accusé de fraudes diverses, d’opacité de gestion, d’abus de position dominante, et de non-respect de son propre règlement.
Il est temps de repenser le droit d’auteur. Et de contrôler beaucoup plus sérieusement et plus fermement les sociétés qui le gèrent avec autant de légèreté (9).
(1) « Afin de permettre la perception et la répartition des droits, la déclaration de toutes les œuvres éditées est obligatoire. Si l’œuvre n'est pas éditée, sa déclaration est laissée à l'appréciation de l'ayant droit. Celui-ci ne pourra cependant prétendre à quelques répartitions que ce soit pour une période antérieure à la déclaration. »
(2) Le Soir du 25 août 2011 Voir http://www.lesoir.be/culture/musiques/2011-08-25/la-sabam-ne-demande-pas-d-argent-au-pukkelpop-858424.php
(3) Voir http://archives.lesoir.be/inculpations-pour-fraude-a-la-sabam_t-20071026-00DHEP.html
(4) Voir http://msmvps.com/blogs/xpditif/archive/2005/03/04/37547.aspx
(7) Aurait-t-elle finalement accepté, comme devraient le faire les producteurs de disques, les conclusions des études économiques faites par les chercheurs universitaires qui depuis des années n’arrêtent pas de montrer que le pillage semble représenter au plus 25% de la réduction des ventes des supports habituels (CDs et DVDs). Pour le reste, c’est le marché qui a changé et les acteurs qui ne se sont pas adaptés à ces changements. Voir par exemple Oberholzer-Gee, Felix and Koleman Strumpf (2007), “The effect of file sharing on record sales: An empirical analysis,” Journal of Political Economy 115(1): 1-42 et Zentner, Alejandro (2006), “Measuring the effect of file sharing on music purchases,” Journal of Law and Economics 49(1): 63-90.
(9) Et la Belgique n’est pas seule dans le cas. La SACEM, sœur jumelle de la SABAM qui sévit en France, a été sermonnée par le Ministre de la Culture à l’Assemblée Nationale (22 décembre 2010). En cause, « la justification des frais de gestion et les coûts de structure invraisemblables ». Plusieurs mois plus tard, la mission chargée d’examiner les comptes n’a toujours pas été lancée, et ne le sera probablement jamais. Bravo M. Frédéric Mitterand.
Merci Victor pour ton billet (la vidéo est amusante !), et tes autres petits textes passés sur le même sujet (pourquoi, semble-t-il, es-tu le seul économiste francophone qui dénonce régulièrement ces méfaits ?).
RépondreSupprimerJe n'ai pas lu l'article de Zentner mais, concernant celui d'Oberholzer-Gee et Strumpf, Stan Liebowirz a rédigé de nombreuses lignes pour critiquer leur travail : http://www.utdallas.edu/~liebowit/intprop/main.htm . Mais je suppose que tu le sais déjà...
Amitiés,
Tant que la majorité des compositeur fera confiance à la SABAM, il y a peu de chose à faire. Et manifestement, cette société bénéficie de soutiens assez importants puisqu'elle n'est pas inquiétée par la justice au point de devoir rendre des compte, se réformer ou même terminer ses activités.
RépondreSupprimerTant que la majorité des compositeurs fera confiance à la SABAM, il y a peu de chose à faire. Et manifestement, cette société bénéficie de soutiens assez importants puisqu'elle n'est pas inquiétée par la justice au point de devoir rendre des comptes, se réformer ou même terminer ses activités.
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