Pierre Pestieau
Entre la théorie et la pratique, il y a plus que la distance entre Washington et Bruxelles. En discutant avec des économistes du FMI, ceux-là mêmes qui proposent des réformes fiscales au gouvernement belge, cela m’est apparu évident. Témoins, trois recommandations (à propos des intérêts notionnels, de l’uniformisation de la TVA et des impôts fonciers) qui théoriquement sont raisonnables, mais qui sous un certain emballage technocratique peuvent être mal perçues et avoir des conséquences désastreuses.
Commençons par les intérêts notionnels (1). Dans tous les séminaires de finances publiques portant sur l’imposition des sociétés, la Belgique est louée pour cette mesure qui fait pourtant débat. L’idée en est simple ; il s’agit de réduire la discrimination fiscale pratiquée universellement entre le financement avec capital emprunté et le financement avec capital à risque. En effet, dans le cas de fonds empruntés, l’intérêt payé est déductible de la base imposable alors que dans le cas de fonds propres, les dividendes ne le sont pas, et sont par conséquent taxés deux fois, une première fois dans le chef de l’entreprise qui les distribue, et une deuxième fois dans celui qui les perçoit. Les intérêts notionnels sont donc une idée honorable qui veut accroître l’efficacité du système et ne doit pas nécessairement entraîner une réduction de l’impôt des sociétés. Il suffit de relever le taux statutaire pour que l’opération soit blanche. Malheureusement, l’introduction des intérêts notionnels a été ressentie par une majorité des Belges comme une nouvelle tentative, sournoise de surcroît, de réduire l’imposition du capital au détriment de celle du travail (2). Les promoteurs des intérêts notionnels ont négligé de distinguer deux aspects : l’efficacité qui est entravée par la discrimination dont bénéficient les capitaux empruntés et l’équité qui requiert que chaque partie paie son dû en fonction de ses capacités contributives.
L’uniformisation de la TVA au taux plein est aussi une mesure est souhaitable à condition d’être accompagnée de compensations au travers de certains programmes sociaux et de l’impôt sur les personnes physiques (IPP). Sans ces compensations, elle soulève de légitimes interrogations quant à sa régressivité. La théorie économique nous enseigne que l’IPP est un instrument de redistribution plus efficace qu’une TVA à taux réduit sur les biens de nécessité, dont même les « riches » bénéficient. Cette proposition requiert cependant que l’IPP soit progressif non pas seulement en théorie mais dans les faits. Pour une progressivité effective, on doit d’abord abolir les niches fiscales qui sont, elles, rarement redistributives.
Enfin, l’impôt sur la propriété foncière. La Belgique semble recourir moins à ce financement que ses voisins. Partant du principe que la pratique de ces mêmes voisins constitue un bon étalon, les experts du FMI estiment qu’il y a là un gisement de recettes fiscales tout indiqué. Sans aucun doute, mais cela exigera de repenser le financement des pouvoirs locaux (région, agglomération dans le cas de Bruxelles et communes) qui lèvent cet impôt. Un financement des communes et des villes davantage basé sur les valeurs immobilières pourrait créer de fortes discriminations au détriment des communes pauvres. Ici aussi l’intention est bonne mais si la mesure n’est pas accompagnée et si elle n’est pas expliquée au citoyen, elle peut entraîner une opposition coûteuse.
Voici trois exemples de mesures fiscales qui sont a priori raisonnables mais qui pour être menées à bien réclament un exercice de pédagogie et un accompagnement qui ne les fassent pas passer pour injustes et donc inacceptables. Nous vivons une période de disette budgétaire et d’inégalités sociales. L’un et l’autre problème doivent être gérés avec discernement.
(1) En anglais on parle de ACE (adjusted current earnings), terme plus approprié puisque nous sommes les as de l’imposition des sociétés.
(2) Quand on lit les déclarations officielles défendant les intérêts notionnels, on est frappé par la confusion des arguments.
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